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Agnabeya

29 août 2017

Ma'a salam (?)

... Et je me re-tire. Non, pas retire, re-tire, j'me tire une fois de plus, quoi - il faut suivre, un peu.

ORLY AEROPORT, Terminal S (Sud - ah tiens tiens tiens), Porte A30.

Encore une zone franche, encore un (non)lieu international, encore un univers à la croisée pour commencer un nouveau récit, un nouveau départ, vers l'inconnu complet. Le stress de cette prise d'avion - oui, je suis une grande voyageuse qui s'agrippe aux montants du siège voire à la main du voisin à chaque décollage atterrissage sans parler des turbulences, et je vous emmerde - et surtout de tout ce qu'on se coltine autour d'humiliation systématique de la personne m'a momentanément éloignée de cette sensation de vertige : je pars, je me lance, je m'arrache, je délocalise (sic), bref, j'me tire.
Sans billet de retour, et dans un endroit que je ne connais absolument pas sinon de nom. Comme Al Qahira, il y a cinq ans. Il faut croire que je n'ai pas beaucoup changé entre-temps sur certaines choses, même si j'ai du mal à me retrouver en l'image de cette très fraîchement-ex-Parisienne-désormais-expat-qui attendait bêtement le bus qui ne passait pas sur la Salah Salem pour aller voir les zolies Pyramides.
Ca vire à l'habitude, ai-je songé avec un snob désabusement toute la semaine qui a précédé.  Semaine également pré-départ du reste, de rituel, devrais-je écrire même si c'est insupportable.
Dernier(s) apéros de l'été à l'Ile de Ré. Ultime sortie Bastion, autrement dit boîte de nuit et vodkacramberry. Chevauchée folle naturellement, même si je ne l'accolerai d'aucun adjectif de fin celle-là - attendez voir que je trouve à monter là où je vais, incha'Allah. Quant aux sempiternels au revoir oui je vous écrirai je publierai des photos même si je n'ai plus d'appareil enfin tout, qui sait pourquoi je les ai zappés. Eh oui, sous prétexte de mon sac à faire, je ne suis pas seulement partie je suis partie en pure mode lâcheuse - peur de constater que les gens s'en foutent, à force et peut-être même depuis le début ? angoisse de sentir que les gens ne s'en foutent pas, voire qu'ils emploient encore une fois ce verbe sifflant, ReSter ? D'ailleurs, c'est vrai, je l'ai plus ou moins promis, en revenant d'Istanbul il n'y a même pas trois mois. Peut-être bien que j'y croyais moi-même, pour tout dire. Mais c'est l'instinct qui remporte la partie, dans ces cas-là, et le mien continue à me tirer à droite et à gauche et surtout vers le Sud-Est à vrai dire.
Escale rapide famille, grand-mère, soeurette, et effusions maternelles expédiées sur le marchepied du RER, puisqu'on n'est pas plus doué ni les uns ni les autres pour ces choses-là par chez moi.
Paris. L'ami du lycée et les cocktails de ce bar plutonien de la rue de Clignancourt où je ne viens que deux fois par an - côté départ, côté arrivée - ce qui n'empêche pas le proprio à la peau foncée des Iles de me demander gracieusement de mes nouvelles à chaque fois. D'ailleurs, son rade s'appelle l'Escale, quelle bonne blague. Week-end dans le XVIIIème où déjà je tendais l'oreille en essayant de comprendre l'arabe qui fusait partout autour de moi. L'amie de fac, nos cafés au lait du matin, restau italien du soir et même cette dernière cigarette partagée sur un banc public dans une ruelle avant que de rentrer se coucher. L'amie de toujours, les marches entre Barbès et Montmartre et les burgers à option végétarienne pour elle. Enfin le quai du métro ligne 4, un dimanche de fin août.
[...]
A présent je survole la Méditerranée, ohé ohé. Autre lieu non-lieu-symbole que tant rêvent de franchir, au point d'en risquer leur vie et bien plus que ça. Et moi, je passe le plus clair de la mienne à la traverser en sens inverse.

Finalement j'ai bien fait de ne pas fermer ce blog en juin dernier. Il suffisait de changer le titre, et celui-là me définit sans doute bien mieux que nombre d'autres - sans compter que c'est un très beau mot.
Réminiscence d'un dialogue désagréable au Talaat Harb Square, Al-Qahira encore, des années auparavant :
- Ya Khaled, can you understand I want to live in a country I would not be agnabeya !
- La-a, habibi. Inty magnouna. It's you who don't understand. Wherever you go, anywhere you choose to live, you will be agnabeya.
Alf shokran, mystico-philosophe à la manque.

Prochain arrêt : Tunis. Un parfait hasard, ou le mektub, allez savoir là encore. Au moins, on pourra me reconnaître d'avoir tenté de faire le tour de la question, quelle qu'elle soit.
A Nous Deux - Yalla !

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1 juin 2017

Istanbul'a gider iken, alde da bir yagmur

Cette chanson bien plus vieille que moi, un classique revisité par maintes versions, qui ramène à une époque où cette ville était une ville, non une mégalopôle, de cinq millions d'habitants certes mais pas vingt - cette époque que je n'ai pas connue, cette ville que je n'aurais jamais vue.
Cette chanson je l'ai entendue maintes fois au Babel mon ex-bar bastion entre autres, sans me demander si je l'aimais ou pas - elle et son air entêtant, répétitif, au violon et pourtant discrètement oriental, et sa mélancolie gentiment surannée. Mais depuis trois jours elle tourne en boucle sous mon crâne, et déjà je sais que ce sera Istanbul, ma mélodie proustienne de Verneuil à moi. De fait, ma version est déjà personnelle, puisqu'elle commence en réalité par Uskudar - sauf que les deux premières phrases, que j'ai appris à chanter tant bien que mal avec l'aide d'Aytug - oui, Colloc 1, que je peux désormais nommer puisque c'est fini -  définissent tellement mon séjour ici que je la garde comme ça voilà.


Dès que je mets les pieds à Istanbul, la pluie se met à tomber...
N'aurais-je donc connu que cela d'Istanbul ?

J'aimerais pouvoir commencer par le commencement, même alors que c'est une fin que je rédige - et qu'elle n'est pas plus facile à tracer, dans mon journal d'exil ou sur ce blog d'expat agonisant, que nombre d'autres choses en cette année.
Et puis zut, je n'ai pas envie de me forcer, trop de choses à faire et à penser, aussi une fois de plus je me réfugierai dans la poésie - il faudra reconnaître ça à cette ville, cette ville et moi, j'y ai écrit de la poésie - ou tout simplement j'y ai écrit.


Istanbul'da bilmiyorum

Istanbul j'aurais  presque pu t'aimer
C'est toute l'histoire de nos rapports
Comme un rendez-vous décalé encore
Coït fini avant de commencer

Je n'aurai rien compris à Istanbul
Au bout d'un an cet unique bilan
Charme de ton sol montant descendant
Sans parler des vingt millions qui le foulent

Le cri de tes mouettes au petit matin
Vent du Bosphore chats dans les recoins
Sel de l'Ayran sucre du tahinli

Me manqueras-tu perle défraîche
Et tes mets que je n'ai su digérer
Je n'ai rien compris est-ce ça aimer

Zümre - Bahçesehir - 23 mayis 2017

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27 mai 2017

ReSTay

…. précisément. Je parle de plus en plus au passé, d'abord parce que tout enseignant sait bien qu'en mai, on ne fait quasiment plus rien, et puis parce que cette fin d'année scolaire sonne pour moi le glas du départ, la fin tout court – et le retour, ce retour que j'ai attendu si longtemps, même si c'est dommage.
Et donc je l'évoque à tout propos pour habituer les gens, et peut-être même moi.

Sauf que prendre une décision impose forcément de considérer l'autre option :
Il y a eu cette petite fille, Defne, la blonde aux allures de poulain longues pattes, qui quand j'ai laché l'info dans une de mes classes a poussé un POURQUOI qui m'a bien emmerdée – les adultes disent ah bon tiens donc ou à la rigueur tu es sure ou comment ça, mais les enfants, eux, demandent pourquoi – why/leh/nadaaan – et leur façon de prolonger la dernière voyelle quelle que soit la langue a quelque chose de déchirant, surtout lorsqu'on n'a pas de vraie réponse à leur fournir.
Il y a eu Sibel ma collègue d'une année qui ne cache ne retient jamais rien et qui s'est arrêtée devant moi en plein couloir pendant que la récréation battait son plein, pour me lancer, yeux brillants et drôle de sourire : Ca me fait mal au cœur de savoir que tu t'en vas.
Et puis il y a eu Colloc, Monsieur Roots-je-laisse-toujours-les-gens-partir-sans-jamais-leur-poser-de-questions (sic), qui alors qu'on en parlait à tête reposée pour changer, a lancé lui aussi ce mot unique : Stay.
Stay encore un objet d'étude intéressant quand j'y songe, à cause de ce son pivot, st, sssttt, ST, étrangement commun à plusieurs langues : le français dit ReSSTTe, l'anglais SSTTay, et même l'arabe SSTTana. Et ce ST finit par évoquer la STation, comme lorsqu'on a prévu d'aller se balader ou même de quitter une soirée mais qu'on se retrouve finalement toujours assis dans le canap, à se servir un autre thé.
Et il y a eu Ozgür, Colloc 2, qui m'a dit carrément I think you will STay STill one year, et à cause des traductions toujours approximatives en l'absence de langage commun, je n'ai su s'il s'agissait d'une conSTatation ou d'une directive.
Mais nous avons eu une vraie discussion sur le sujet, et ses arguments étaient moins légers et bien plus structurés que celui de Colloc 1, qui se contente de dire que ce sera plus facile et moins prise de tête pour moi que de repartir de zéro encore une fois – comme si le mot facile avait le pouvoir de me toucher. Au contraire, Ozgür évoque ce pays devenant intéressant à observer en ces temps troubles (toi dis donc, soit tu es bien tombé soit tu m'as bien devinée), et qu'un an ce n'est pas assez – ce en quoi il a raison, bien sur. L'Egypte aussi a été difficile les premiers temps – et tout du long d'ailleurs – et nous sommes tombés d'accord sur la première année quelque part qui n'est qu'un test, une prise de marque – c'est la deuxième qui constitue vraiment, quoi ? L'entrée dans la strate plus profonde.


…. sauf que l'Egypte m'avait donné envie de persévérer, alors que la Turquie a produit l'effet inverse. Al Qahira me rendait plus forte, alors qu'Istanbul, eh bien je n'aime pas celle que j'y suis devenue. Mes deux collocs prétendent que ce n'est pas l'endroit le problème – ni la solution d'ailleurs, et ils ont en partie raison : en vrai, chaque lieu de vie vous change moins qu'il révèle une part différente de vous. Et j'ignore pourquoi Istanbul a fait surgir – ressurgir – des choses aussi négatives, des choses que je préfère savoir à distance (comme au Caire) ou somnolentes (comme dans la campagne française). Peut-ètre faudrait-il le prendre comme un salutaire électrochoc, mais je doute d'être prête à m'en occuper sérieusement – et encore plus que cette cité soit le cadre idéal pour ça.

Nonobstant,  la ville le pays ses occupants m'ont rappelé l'Egypte pour la première fois de manière aussi précise - cette manie de vouloir vous faire reSSSTTTer en leur terre, alors qu'on ne leur apporte strictement rien et qu'eux-mêmes sont souvent les premiers à vouloir se tirer. Quand on y songe, c'est diamètralement opposé au comportement français moyen : on patauge dans notre marais, et on ne tient pas à y accueillir de nouveaux arrivants.
Enfin ça a quelque chose de plaisant voire de gentil, et ces derniers temps m'ont donné cette sensation de chaleur comme par un fait exprès, voire un complot - Colloc 2 m'abreuvant de bière au son de France 2 pendant les élections les miennes oui, Colloc 1 comme par hasard ré-omniprésent dans l'appart et venant me chercher jusque dans la chambre pour fumer fumer encore, et l'effort de toute la troupe pour traduire leurs conversations afin que je ne me sente pas exclue - cette bonne blague.
Il faut reconnaître, me suis-je dit assise à cette table de cuisine dans laquelle j'aurais passé tant de temps que je n'ai pas écrit ici, que c'est un bon côté de ce pays, cette neutralité, ce confort si peu musulman à pouvoir reSSTTer avec trois quatre mâles sans tension ni ambiguitë. Ce soir-là, je n'ai même pas regretté l'Ecurie.
Et puis Ozgür a émis une boutade-flatterie sur ma blondeur bleue, et j'ai réalisé que si, je vivais bel et bien en Orient - un Orient différent de ceux que j'ai connus auparavant, atténué, nouveau pour moi, mais un Orient tout de même - celui où l'on pose les paquets de cigarettes sur la table et mange tous dans le même plat, et où le thé bout en permanence.
Et l'impression a atteint son point culminant ce samedi fin de nuit noire où je suis descendue entre deux cycles de sommeil et où Colloc m'a accueillie avec de l'Ayran et à fumer comme il se doit, avant de me convier à regarder un obscur documentaire anti-technologique avec lui en la chambre d'Ozgür parti en concert. Je n'ai pas vu la lumière changer, mais soudain Allaaaaaaah Akbaaaaar, et je me suis retrouvée une fois de plus en train d'écouter le premier adhan en fumant pas toute seule. J'en ai même oublié que Colloc s'était moqué un jour de mon affection pour cet adhan, et j'ai dit : Comme ça va me manquer, cet appel.  La prière de l'aube, ma première passion Al Qahira et qui jamais ne s'est démentie depuis : cette voix qui déchire le jour encore si jeune, cette étrange solidarité des éveillés, travailleurs insomniaques voire dévots à cette heure indue, et Allah Allaaaah ce silence pesant, terrifiant qui lui succède lorsque de retour en France, en Europe, en Occident, on émerge à quatre heures du matin en sentant confusément qu'il manque quelque chose mais quoi.
Et il a souri.

Comme ça va me manquer je le sais déjà - bien sûr que ça, tout ça va me manquer. Bien sûr que l'Orient va me manquer.
L'Orient m'a au fond toujours manqué, même avant d'y aller, même parfois alors que j'y étais. On en revient au statut d'inbetween, ce décalage que j'ai toujours traîné mais qui n'a fait que s'aggraver à force de balancer entre les mondes, circumnavigando.
Récemment j'écrivais un texto parfaitement trivial pour signaler que je ne trouvais pas un lieu de rendez-vous, et ce n'est qu'après l'envoi que j'ai ricané sur ma phrase - J'ai des problèmes d'Orientation, avec la majuscule oui.
Je n'ignore pas que retourner en France sera difficile - ça l'a même été à chacun de mes rares breaks, comme ma mère me l'a dit à l'occasion de ce catastrophique Noël, il te faut toujours un temps d'adaptation, je me suis habituée à force. Etrangère dans son propre pays. Ozgür m'a d'ailleurs concédé, tu peux toujours passer tes deux mois de vacances en France et puis revenir ici. Merci d'organiser mon planning, mec, ça ne fait que doubler le problème mais merci quand même, tessekürlerederim.

Je parle sans cesse de l'Orient, je le sais - tu ne sais que faire des généralisations, m'accuse Sibel, il n'y a pas les Arabes, les Turcs, etc., il n'y a que des individus. Cessons donc d'invoquer à tout-va les points cardinaux, et parlons d'Istanbul. Quid d'Istanbul ?
Eh bien, à Istanbul, je n'ignore pas que ce n'est pas un vrai dilemme. Je n'ai aucun souvenir de ce que je proclamais au Caire à la fin de ma première année de présence - vraisemblablement la même chose, mais cette fois wallah c'est différent. D'Abord, j'ai déjà pris mes dispositions, prévenu mon directeur fantôme via mail donc que je ne ferai pas mes deux ans de contrat, sollicité un entretien avec ma directrice nazillone de quarante kilos pour organiser ma fin d'année. Et puis, j'aurais beaucoup trop galéré dans cette ville, beaucoup trop passé de temps toute seule, même si les choses ont changé ces derniers mois, c'est trop tard voilà. Sans parler de ce travail au rythme et aux exigences démentielles qui m'a moitié démolie - je soupçonne que je vais mettre des mois à m'en relever, ne serait-ce que physiquement nerveusement.


Et puis en nomade aguerrie (...) je connais bien cette ambiance de pré-départ, semblable à tout coin du monde, comparable aux derniers jours de l'année scolaire : on est si heureux qu'enfin elle se termine que tout devient plus léger, que ce qu'il y a eu de beau prime sur ce qu'il y avait de mauvais, qu'on se surprend même à souhaiter qu''elle ne disparaisse pas si vite - la perte facilite le regret, et même le souvenir poétique.
Et tout semble soudain se liguer en ce sens, le élèves qui deviennent charmants les collègues avec qui on communique désormais même en turc, le soleil qui revient, enfin même la ville le pays donne l'impression de vouloir vous séduire à nouveau, afin de vous faire douter - reSTer. Mais ce ne sont pas de vrais doutes, ce n'est qu'une sorte de jeu, et si je chante SHOULD I STAY OR SHOULD I GO sous la douche ce n'est que pour me donner l'illusion d'avoir encore le choix, d'être encore à cet instant sublime du carrefour, du départ au galop, cet instant où tout est encore possible puisqu'on n'a rien tranché, et que je passe ma vie à prolonger indéfiniment - dangereusement.
Comme un livre jamais écrit.
Et même ces injonctions ne sont pas vraies, elles font partie du jeu - en réalité tout le monde se fout que je reste ou que je parte, et Istanbul et moi ça n'a jamais fonctionné de toute manière.
Il m'arrive de plus en plus souvent de me dire que c'est cela que je cherche, rien que cela, pour accepter (enfin) de me poser : un lieu peu importe lequel où quelqu'un me demandera ReSTe - I want you to stay, peu importe en quelle langue.
Certes, on me l'a déjà dit, à plusieurs reprises et dans différents endroits - Shady yashady et tant d'autres en Egypte, Chloé à Paris, Mohamed au Maroc où je n'ai jamais vraiment habité, et sur mon Ile l'Ecurie bien sûr, le Cow-Boy me promenant monts et merveilles si je reSTe, et les autres - souvenir de ce drôle de retour de danse de fin d'été à l'aube (encore l'aube) assises sur le marchepied du bus rétais, et ma compagne d'ordinaire si réservée soudain désinhibée par l'alcool : - Dis, tu ne veux pas reSTer ? on s'amuserait bien...
... et donc en Turquie, à présent. A Istanbul, à présent. Mais là encore ce n'est pas vraiment vrai - et d'ailleurs, je me demande, de plus en plus souvent aussi, si je pars parce que je n'ai pas de vraies raisons de rester, ou précisément parce que je commence à en avoir.

ReSSSSTTTTe. Ce son sirupeux, mensonger, qui s'infiltre en vous comme un serpent.

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21 mai 2017

Benim fare isirdi - une histoire stambouliote


Depuis quelques temps déjà la maison en bois où je réside avec quelques autres fous furieux et touristes de passage retentissait de croc-croc-crocs et bruits de petites pattes, dans la cuisine et la nuit surtout.
Après avoir trouvé cela relativement drôle un moment (précisons que j'ai déjà cohabité avec des chats des chiens des chevaux des araignées des cafards et même des scarabées, mais les souris c'était une première), j'ai fini par perdre patience et sommé mon lémurien de proprio-colloc de faire quelque chose, ambiance c'est les souris ou c'est moi.
Quelqu'un parle du chat ? Eh bien, il n'a pas levé le coussinet, même alors que ça frétillait derrière le frigo à à un mètre de lui. Cet animal ne sert absolument à rien, sinon passer ses nuits dehors à courir la femelle et bouffer et roupiller lorsqu'il réapparaît - avec de surprenants éclairs de solidarité lorsque je vais mal et qu'il décide de me tenir compagnie. Digne enfant de son père, le proprio précité.

Donc, après deux-trois jours syndicaux de promesses et procrastination, Colloc a fini par revenir héroïquement de l'extérieur avec... un unique piège, modèle antédiluvien en ferraille avec trappe puisque nous sommes tous des hippies et que personne ne voulait tuer quoi que ce soit. Pour être honnête, j'étais sceptique sur l'efficacité du bidule, mais on (il) l'a quand même installé, avec des fruits secs au frais de mon cher établissement scolaire au bout. Avant de sortir prendre l'apéro - version turque, c'est-à-dire petits verres de thé et musique des dés sur la tavla (jeu de dames oriental).
Fin de journée de mai à regarder le bleu puis le noir succéder au soleil déclinant, inspirant l'air du dehors après tant d'heures d'enseignement confinées ; ils causent turc, tentant de m'expliquer les règles du jeu, Colloc est mauvais perdant c'est évident même dans une autre langue, des cigarettes sont roulées, pas sûre de savoir si on attend le bon vouloir du livreur au visage de rapace ou si on est juste là pour le plaisir - bref, je ne comprends rien et tout va bien.


A notre retour, surprise, il y a un captif dans le piège, et ce n'est pas une souris... c'est un rat. Un vrai de vrai rat des villes, brun-gris aux dents jaunes à la longue queue glabre, et l'air beaucoup moins sympathique que le compagnon de mon adolescence gothique. Soudain mes collocs mâles - au nombre de trois tout de même - faisaient moins les malins - en vrai ils se sont regroupées prudemment dans un coin de la cuisine en regardant la bestiole de loin. Lorsque Colloc-proprio a carrément cherché une perche, j'ai lâché oooooh cooooome ooooon t'as pas besoin de ça, et attrapé la cage par sa poignée.
Et puis nous sommes allés relâcher monsieur Rat - c'est-à-dire, surtout moi, parce que le sexe masculin c'est un peu comme la prépa AGREG ou les guides de voyage, plus utile en théorie que dans la vraie vie - à moins qu'il ne faille accuser leur caractère de citadin. Mais comme un animal affolé n'est jamais malin, j'ai dû basculer la cage pour lui faire trouver la sortie, approché trop près mon doigt et, croc, le rat m'a mordue.
Une toute petite plaie, je l'ai désinfectée par mesure de précaution - au raki car on n'avait que ça comme alcool - et puis bonne nuit.
Le lendemain au boulot, je suis allée désinfecter à nouveau, mais l'histoire a semblé effrayer l'infirmière, à cause des microbes possibles paraît-il. En une matinée, l'histoire avait fait le tour du bahut, jusqu'à remonter aux oreilles de ma directrice en personne...
Donc, sans déconner, envoi express à l'hôpital. Avec mon collègue-interprète Efe nous restons coincés trois plombes dans le traffic, affrontons la pluie battante au sortir du taxi, arpentons les différents services, pour finir par apprendre à notre grande surprise (faut dire, on est profs de langues, hein) que les rats ne transmettent pas la rage - seulement les chiens et les chats hahaha.
En revanche, on me parle du tétanos, le mot est le même en turc, et du fait que je dois faire le vaccin à présent. Et moi, triomphale : Mais j'ai déjà le vaccin putain - c'est même le seul vaccin au monde avec lequel je suis à jour, car ayant travaillé avec... des chevaux. Je savais que les ongulés sauveraient ma peau un jour - avec, il faut être honnête, la conscience maternelle qui m'avait fait prendre ledit vaccin quasi manu militari.
Moralité : maman a toujours raison, même depuis l'étranger...

Est-il utile pour conclure de préciser que je me suis fait un plaisir de raconter cette histoire à qui voulait l'entendre, y compris à domicile, où mes collocs n'ont pas vraiment eu le beau rôle... et il faut bien avouer qu'ils ne se sont pas fait prier pour me rejoindre dans l'autodérision.
- Dis donc, t'es quand même une femme forte, je veux dire, une... (Colloc-proprio).
- Une guerrière, oui, j'ai déjà entendu ça.  Come on (bis), j'ai affronté le Hezbollah, je vais quand même pas avoir peur d'un pauvre rat !
- N'empêche, se faire mordre par un rat à Istanbul, c'est quand même une histoire... (Collègue-Yilmaz).
- De fou, oui, j'ai déjà entendu ça aussi.

... Je n'écrirai peut-être jamais le roman d'Istanbul, mais je m'y serai tout de même bien amusée, par moments.

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25 avril 2017

Al samt wa el sabr - Silence et patience

Bruit et fureur

J'en ai arpenté tant de tes uniques voies
Des oasis de l'Ouest au bout d'Al Qahira
De la Salah Salem à Khamastashari
Les venelles à fanous du Khan el Khalili

J'ai dompté tes étalons d'Ahram à Giza
A pied j'ai conquis les dunes du Sahara
J'ai marché dans le sang de l'Aïd el Kebir
Et couru pour fuir la lacrymo de Tahrir

Chaque adhan de l'aube je me suis éveillée
Aux soirs la shisha les festins avec les doigts
Sans parler de ces nuits El Malek el Saleh
Et au creux de ton poignet la petite croix

J'ai dévoré ton foul halawa basboussa
Au verre ton haschich et tes dattes au palmier
Et respiré de ton cou l'odeur épicée

J'ai pris tes taxis microbus et felukas
Ton métro tes tuk-tuk et tes ânes suppliciés
Tes chameaux camions ciel ouvert j'aurai tout fait

Et j'ai tâté la dureté de ton trottoir
Sans oublier de ton désert la pierre noire
Reflet du regard qui crachait cette violence

Est-elle sucre ou aridité ton essence
Ces trois thés seda mazbout et puis Ziyadah

Misr Egypt Om el Dounia disent-ils
Mon sang versé j'ai brûlé dans le Sahara
Et une autre fois lavé dans l'eau de ton Nil

Est-ce elle qui m'empêche de t'oublier
Ou bien les cicatrices que tu m'as laissées

J'aimerais pouvoir en écrire plus, les mots se bousculaient en permanence sous mon crâne encore trois jours plus tôt lorsque j'évoluais sous la lumière d'Egypte - et puis à présent plus rien. Ou plutôt je ne parviens pas à en faire autre chose qu'un poème, mais un grand, un travaillé, en alexandrins s'il vous plaît. Les poèmes comme les photos ne gardent que le bon - la lumière, toujours - ou du moins traitent tout sur le mode du lyrisme, ce qui est toujours utile dans la vie.
Je le ferai peut-être plus tard, incha'Allah. En attendant, se reporter à la conclusion de ma note précédente - car comme d'habitude, l'Egypte m'a donné ce que je voulais, et plus encore, ce qui est toujours dangereux dans la vie - la mienne.
Om el Dounia.

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11 avril 2017

Le Sel de l'Ayran

Remarque linguistique du jour : je remarque seulement maintenant il m'a fallu le temps à  quel point le NON turc, HAYIR, ressemble au mot AILLEURS - car l'antepénultième n'est pas un i mais ce phonème local sans point, I, dont le son - que je reste incapable de prononcer correctement - est proche d'un eu, en plus guttural.
HAYIR, AILLEURS. Donc.


Si d'aventure j'ai l'énergie et l'inspiration pour écrire un roman sur Istanbul, cela pourrait faire un bon titre - après Khabour ya Dabour, mon roman de l'Egypte, Hayir.
Autre possibilité, à laquelle j'ai pensé ces derniers temps : Le Sel de l'Ayran. 
Je ne sais si j'ai déjà évoqué l'Ayran en ces pages, alors, au risque de me répéter : l'Ayran se boit, l'Ayran est du yaourt dilué avec de l'eau, l'Ayran est salé - voire très salé - et moi qui n'aime guère boire autre chose que du thé et de l'eau les jours cleans, du café et de l'alcool les jours impurs, moi qui digère mal tout produit laitier, moi enfin qui préfère le sucre au sel, il se trouve que j'ai développé en Turquie une véritable passion pour l'Ayran.
Il existe de l'Ayran sans sel, mon colloc, qui n'est pas branché sur ce condiment, m'en a déjà fait, mais j'ai trouvé cela nettement moins intéressant, et, honte à moi, j'ai continué celui du supermarché au détriment du maison - ou alors on en revient à mon sempiternel refus du don.
L'Ayran. Donc.
Il faut être plus que voyageur, il faut être nomade au long terme (mais n'est-ce pas une absurdité ?) pour savoir que chaque pays a un goût une odeur un son une musique une couleur et j'en passe. Ces caractéristiques ne sont bien sûr perceptibles que par les étrangers - ou alors il faut avoir quitté son pays pour les reconnaître, et quand on parvient à mettre le doigt dessus, c'est sans doute que notre séjour touche à sa fin, ou qu'on commence à l'aimer (aimer vraiment, pour ce qu'il est, et non pour l'attrait de l'inconnu), ce qui est la même chose.
L'Egypte, au hasard, a la couleur du safran (c'est du moins ce qui se rapproche le plus de cet ocre brouillé qui n'existe pas chez nous, celui des aubes, de l'air surpollué du Caire et du Sahara), l'odeur de la shisha , et le goût du foul du petit déjeuner. Le Maroc, du moins son Sud, que j'ai le plus connu, est rouge-rose, une autre couleur qui n'a pas de nom, celle des bâtiments de Ouarzazat, de la terre et des pierres des campagnes, et il a le goût de l'huile d'olive et l'odeur du cumin - à moins que ce soit le contraire.
Je ne connais pas les couleurs d'Istanbul, il faudra que je la quitte pour comprendre. J'ai envie de dire le gris, mais c'est un peu triste, et puis ces jours-ci il y a la lumière des petits matins, et le bleu unique du ciel. Quant à son odeur, ce doit être celle des kebabs que je ne mange pas pour sûr, et puis il y a le Bosphore, son apport d'air frais, piquant, qui purifie un peu de la pollution mégalopolesque - salé, en somme.
Si l'Egypte est sucrée, la Turquie est salée - mais moi j'aime le sel, ou peut-être ai-je appris à l'aimer. Du reste, lorsque j'ai essayé de m'en passer, pour d'obscures raisons de santé et d'artères (alors que tout va très bien entre mon paquet de Camel quotidien et plus si affinités et moi, tesekkürler iyi aksamlar, merci bonsoir), je n'ai pas tardé à goûter la joies des chutes de tension, et en pleine leçon de surcroît. Ce qu'on pourrait aisément prendre comme une métaphore.
Pour conclure sur l'Ayran, il va très bien avec le simit, ce petit pain troué au centre local qui n'a pas grand goût, mais adoucit le premier et se trouve relevé par lui. Ayran et simit, donc ? Non, je préfère décidément Le Sel de l'Ayran.

... N'est-ce pas du reste ce que je cherche depuis le début, depuis que j'ai choisi, choisi oui de séjourner (pas m'installer - jamais) ici, tournant le dos à ces deux dernières années peinardes à travailler dans des établissements français de Charente-Maritime, à arpenter des sentiers tranquilles de villes de campagne, à faire mes courses en comprenant les enseignes des supermarchés, à commander mes verres dans ma langue natale, à roupiller la moitié du temps dans mon lit d'enfant de chez Maman et à faire la fête avec des compatriotes cavaliers sans jamais de problème de traduction - à défaut de compréhension.
Peu de jours auparavant, je larmoyais à ma meilleure amie mon envie de stabilité, et elle m'a répondu sans ambages qu'elle doutait que je puisse me passer d'Aventure, de ma vie trépidante.
Et me voilà en Turquie depuis sept mois - yedi ay - presque les trois quarts de l'année scolaire écoulés, et ce que je cherche en ce temps comme une urgence avant la fin, c'est un roman, son roman - mon roman. Le roman d'Istanbul.
Il y a eu celui de l'Egypte, et puis il y a eu ces deux années sans envergure, et puis maintenant il y a Istanbul. Tant de temps écoulé déjà, et ayant décidé de ne pas y passer plus d'un an même si incha'Allah, je commence à m'inquiéter franchement, car je n'ai pas assez de matière. La structure viendra avec, et même la thématique, mais c'est justement le problème, il me manque les faits marquants, le bruit et la fureur, la peur et le combat, les aventures, l'Aventure, le ou les points d'orgue qui feront de mon séjour ici un roman et non juste un blog d'expatriée.
Bref, j'en reviens toujours au même point : il me manque ces trois minutes plus longues plus importantes plus intenses que le reste de ma vie où ma tête a rencontré le bord du trottoir dans une rue d'Al Qahira - et cette cicatrice couverte par mes cheveux mais qui est toujours là, que je sens en y passant la main, qui sera toujours là (elle).
Et peut-être que ce qui me fait le plus peur, c'est de quoi je suis capable, plus ou moins inconsciemment, pour en arriver, en revenir là.

D'ailleurs, j'ai une semaine de vacances et j'me tire en Egypte - comme d'hab quoi.

Haydi, Gürüchüluch - yalla !

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3 avril 2017

EVET/HAYIR

En ce printemps à Istanbul
Ne fleurissent pas seulement les parterres
(De leur bleu violet je me soûle)
Mais les banderoles autocollants et bannières
Par les haut-parleur ponctués
Impossible d'y échapper c'est là la visée


Evet/Hayir dichotomie fondamentale
Evet/Hayir c'est la saison
Une illusion de décision
Si différente de la vie en général ?

 

Une fois n'est pas coutume, je m'éloigne de l'écrit narcissique (sic) pour tenter d'élaborer une note politique, ou du moins, sur la politique - au risque de rejouer Midnight Express, attention ça ne rigole plus - ou plutôt si, un peu d'action bordel, on est aventurière guerrière ou on ne l'est pas.

D'abord s'impose un léger établissement du contexte.
Géographiquement, la Turquie est un pays à cheval (ô ce terme) ; et Istanbul, eh bien, on ne peut trouver plus à cheval. Byzance Constantinople Istanbul, la seule cité au monde qui s'étend se partage et oui s'écartèle entre deux continents. Avrupa. Asia. D'où la plaisanterie locale : aujourd'hui je vais en Asie - rien de plus facile, il suffit de prendre le ferry.
Or cette drôle de situation géographique implique situation historique culturelle et donc politique. Je ne vais pas rejouer l'Empire Ottoman, y a pas marqué SORBONNARDE RONFLANTE là, mais remontons tout de même juste après, à Atatürk - Atatürk figure de proue en ces terres, au point que j'ai souvent été tentée de juger son culte de la personnalité un peu ridicule, mais là n'est pas le propos.
Atatürk, donc, a fondé la Turquie moderne dans la première partie du XXème, et son parti-pris a été de faire regarder cette contrée inbetween (tiens donc) vers l'Occident et non vers l'Orient.  Certes il a gardé les mosquées, quoiqu'envisagé de faire chanter l'adhan en turc et non en arabe (quelle hérésie), mais il a choisi l'alphabet européen pour son pays, et instauré une république laïque. Il paraît du reste qu'il se targuait d'avoir les yeux clairs.

C'était il y a cent ans. Aujourd'hui les Turcs ont Erdogan, et beaucoup dans les milieux modernes et éclairés de la capitale l'appellent dictateur.
Certains parlent de trucage d'élection - quinze ans tout de même qu'il est au pouvoir - d'autres pensent que c'est un peu plus larvé, aussi je ne statuerai pas là-dessus. Difficile d'ailleurs d'être sûr de quoi que ce soit dans un contexte où les gens préfèrent parler à voix basse, et en privé. On évoque journalistes emprisonnés, muselage de la presse, évictions de fonctionnaires sans preuves et condamnations sans procès, surtout depuis le 15 juillet, darbiye - d'aucuns affirment même ne pas croire à un véritable coup d'Etat survenu ce jour. On cause aussi d'incroyables sommes dérobées, mais bon on a ça aussi chez nous hein.
Il est clair en tout cas que Erdogan regarde côté Moyen-Orient, lui - à moins qu'il ne souhaite simplement se la jouer Seul contre tous, aidé par le mépris séculaire de l'Europe. Et pourtant tous mes interlocuteurs affirment que son Parti Islamique c'est du pipeau, qu'il n'a rien d'un idéologue et tout d'un opportuniste - mais bon ça aussi chez nous (bis).
Alors quoi ? Je ne sais plus qui a dit que la démocratie c'était cause toujours et la dictature ferme ta gueule, eh bien, sous cet angle, rien de moins sûr que la Turquie soit encore une démocratie.

Mais apparemment le petit Tayipp n'est toujours pas satisfait de son trône, aussi le voilà qui organise un référendum, ambiance : on vous demande votre avis, surtout ne vous trompez pas d'avis hein. L'idée est de réformer la Constitution pour renforcer encore le rôle du président, en supprimant entre autres celui de premier ministre - tous les détails sont sur Internet, le francophone tout du moins, pour le turc je ne sais pas.
Et donc, à deux semaines du 16 avril braille claironne s'affiche EVET en grand format et son à fond, et plus rarement chuchote grommelle sur des stickers ou tracts tendus au coin de la Istiklal HAYIR - wallah, je n'emploierai plus jamais le mot propagande à la légère, après avoir assisté à cela. Mon argument gouvernemental favori, d'ailleurs : DIRE NON C'EST FAIRE LE JEU DES TERRORISTES. HAYIR = TERRÖR.
... Mais bien sûr. Tabii, evet.

Bref la Turquie ne va pas très bien. Oh, soyons honnêtes, tout n'est pas imputable au moustachu : entre la crise mondiale et celle du Moyen-Orient, l'afflux d'immigrés principalement syriens, ajoutons le problème kurde pour faire bonne mesure (et qu'il n'a rien fait pour arranger, au contraire), je trouve que le pays ne s'en sort pas si mal  - surtout comparé à ses voisins.
Mais les gens grognent et ont peur, de plus en plus (et pour de bonnes raisons - pas comme mon peuple). Et quel que soit le résultat du référendum, réel ou falsifié, il y a fort à parier que ça va être un beau bordel.
Ca se sent tant que ça que je commence à habiter ce pays dont je ne suis pas ? Et pour citer les jolis mots de collègue Ahmet, mais Istanbul t'aime aussi tu sais. Peut-être est-ce juste le retour des beaux jours, ou cette atmosphère électrique dont je m'imprègne tant et plus - oh je n'en suis pas à mon coup d'essai, j'ai suivi les Muslims Brotherhood en Egypte, et puis connu les joies du couvre-feu après l'arrivée de Sissy, et j'en passe. Enfin, j'ai retrouvé mon rôle de prédilection : sortir, marcher, écouter, interroger, chercher à comprendre - Yilmaz qui craint pour sa place de prof et ses deux enfants, Sibel qui regrette de n'avoir pas fait établir les papiers pour la double nationalité quand il était encore temps, Arzu qui se battra contre le parti gouvernemental en dépit des risques, et le cinéaste qui a réalisé ce court-métrage, Hayir, et tous les autres.
Au fond j'éprouve peut-être quelque chose pour ce pays juste parce qu'il sombre, ça me ressemble - ou alors c'est ce statut d'inbetween, qui hésite entre deux mondes, entre short et voile, qui ne sait pas, ne sait plus très bien qui il est, et que j'ai d'abord trouvé bâtard mais qui au fond me ressemble encore plus.

Ou alors ce n'est qu'une histoire de facilité et d'altermoiement : m'intéresser à la situation politique d'un pays qui n'est définitivement pas le mien m'évite de trop penser à celle du mien - oui, navrée pour mon côté Bisounours années 80 mais mes parents m'ont donné certaines valeurs malgré tout et songer que notre propre parti raciste est en tête dans les sondages suffit à me donner envie de pleurer ou de tout casser.
Du reste, j'ai relativement assez mal en ce moment, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec une politique quelconque, et donc j'use des seuls moyens que je connais pour non pas ne plus avoir mal mais y survivre - marcher et écrire, écrire et marcher. Quand on n'a pas de cheval...
J'hésitais d'ailleurs à rester dans les parages pour le référendum précité, on ne sait jamais pour une fois qu'il se passe quelque chose, mais il se trouve que le 16 avril tombe pendant mes vacances, et j'ai une envie tellement intense de monter à cheval que voilà voilà.

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24 mars 2017

Feridiye Caddesi

[Sur l'air de Dans mon HLM, Renaud - depuis des semaines que ça me trotte dans la tête cette foutue ritournelle, Et la blonde du 2ème... le HLM, autant que ça serve]


Au rez-de-chaussée
Feridiye Caddesi
Quinze paires de chaussures dans l'entrée
Le double portail claque jour et nuit
Aux crochets les manteaux
Et les croquettes sur le lino

Au rez-de-chaussée
Feridiye Caddesi
Débordent frigo et cendriers
Bouillonnent thé et machine à laver
Il ne fait pas chaud c'en est loin
Mais le soleil arrive du jardin

Au rez-de-chaussée
Feridiye Caddesi
Le premier locataire
A pour nom Liberté
Il ramène l'eau par stère
Mais elle s'écoule dans la soirée

Au premier
Feridiye Caddesi
Juste après l'escalier en bois
Le batteur Anas habite là
Etrangement silencieux
Mais la cocker Marcha
Fait du bruit pour deux

Au second
Feridiye Caddesi
Y a le séchoir sur le balcon
Croulant sous les draps et caleçons
Et puis Akin le cousin
Qui attend que ses chantiers finissent
Pour retourner à Adana
Cigarettes en commun
Toujours prêt à rendre service
Et l'odeur de ses petits plats
Une dernière chambre enfin
Où défilent les itinérants
Des amis locaux aux touristes allemands
Des Japonais aux Portoricains

Et puis y a mon antre
Au lit démesuré
Fauteuil et table ronde au centre
Pour rouler et fumer
Luminaires tamisés
Tahinli partagée
- Quand le chat la vole pas
Car Feridiye Caddesi
Y a Cheetah aussi
L'immaculé chapardeur
Et dragueur à ses heures
Qui dort parfois avec moi

Et y a le propriétaire
De Feridiye Caddesi
Qui n'en a guère l'air
Avec ses cheveux en pétard
Plus d'un oiseau tombé du nid
Il est toujours en retard
Au fond pourquoi se presser
Quand on a tout son temps
Encore plus se gêner
Agaçant attachant

Feridiye Caddesi
On cause politique et vie
Du turc au français
Du saxo aux tambours
Certains ne dorment jamais
D'autres se lèvent avant le jour

Feridiye Caddesi
On ferme rien à clef
Y a des gens bourrés
Au milieu de la nuit
Qui braillent ou font des insanités
On ne voit pas comment y travailler

Alors comment il se fait
Que j'aie tant envie d'y rester.

Comment il se fait, ouais. Ca tient peut-être uniquement au fait qu'après tout ce temps - presque six mois bordel - à habiter seule, je me suis soudain souvenue que ce n'était pas mon truc, que ça ne l'avait jamais été - du reste, depuis mes années d'étudiante et même pendant, je me suis toujours arrangée pour partager, petits amis famille colloc Ecurie. Je ne sais pas ce qui m'a pris à Istanbul.
Ou alors c'est tout bêtement que le muezzin de ma nouvelle rue qui ne dort jamais elle non plus est nettement plus doué que celui de l'ancienne. Quoi, ce n'est pas un argument ? Et pourtant, dans cette fameuse cuisine glaciale, j'ai eu dès le jour de mon intronisation une crise de révélation : au fond, cela fait cinq ans à présent que je ne fais que ça, écouter l'adhan en fumant, être assise avec des gens dont je ne comprends pas la langue, et tant mieux. Il n'y a rien de meilleur que de ne pas comprendre, ça permet de se préserver, et d'imaginer.
A la veille de mes trente-deux ans, je ne cherche pas autre chose.

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4 mars 2017

Enfin l'Orient ?

Abécédaire oriental


C'est drôle comme il suffit parfois de changer d'endroit, même une semaine, ou même de cent mètres, pour que soudain tout change. J'ai fait les deux en ce dernier mois - et n'est-ce pas pour cela, changer, que je bouge autant ?
A moins que le fait d'aller au plus possible à l'Ouest - mon Ile, dernier phare avant l'Atlantique - m'ait ironiquement retransportée à l'Est, réorientée.

Adhan, Allah, sinon quoi d'autre, ou peut-être simplement A tout court ? Cet A emphatique qui fonde partiellement l'islam et au moins tout entier la prière - Aaaallaah akbar, haaaaayyaaat el saaaalah, la illalaaaah... - si omniprésent dans la langue arabe, jusqu'aux noms de ceux que j'ai eu la chance de connaître - yaaaa Shaaaaaady, Samahh, Layla.
Babel. Du nom premièrement du café dans lequel j'ai établi mes quartiers pour écrire Internet et la musique, mais aussi parce que Istanbul en général et ma nouvelle rue résonne de langues diverses et variées, du turc au kurde, du français à l'allemand en passant bien sûr par l'anglais touriste, les idiomes africains, et l'arabe, les arabes, du Golfe de Syrie ou encore du Maghreb - sans parler des dialectes.
Charivari. Tant de bruit, tout le temps, à si haut volume - musique, discussions sans prendre garde à brider la voix, véhicules divers et pareillement pétaradant, klaxons, après des mois dans une rue ennuyeuse et calme je dois avouer que j'ai du mal à me retrouver soudain Al Qahira.
Dehors. Tout le monde à l'extérieur, en permanence, là-bas les hommes et les enfants, et ici même les femmes, dehors pour acheter des trucs, dehors à discuter, ou dehors simplement pour être dehors, parfois carrément sur le pas de la porte ouverte, ou "dans" les boutiques qui n'ont pas de séparation avec la rue, surtout avec le retour des beaux jours, mais quel bonheur. La vie est dehors, l'Orient a compris - entre autres - cela.
Enfants. Des enfants, des tas d'enfants, partout, tout le temps, de tous âges, braillant, s'amusant, traînant dans la rue, exactement ce qu'on vilipenderait dans le monde duquel je viens - et tous les bons milieux quand j'y pense. Mais moi aussi j'ai fait du vélo et même organisé des balles au prisonnier ou sonné à des portes avant de déguerpir en totale impunité et absence des parents, alors, désolée pour le côté vieil réac' mais je reste persuadée que c'était quand même mieux que Super Mario - auquel j'ai joué aussi, mais beaucoup moins.
Fumée. Ces milliards de cigarettes, sans parler du reste, offertes  partagées refilées mises en commun sur la table ou le killim, et je ne cherche pas d'excuse je fumais avant, depuis mes études parisiennes pour être précise, mais c'est en Egypte que je suis devenue une vraie fumeuse. Et je le suis restée.
Et la shisha. Bordel la shisha. Il y a d'ailleurs un café tout ce qu'il y a de plus tradi, tables vétustes et carbon, dans ma nouvelle rue, et je compte bien m'offrir ça fait si longtemps un nargileh, comme ils disent ici, dès que mon angine carabinée sera un peu passée.
Graines de tournesol. Ca se mâche et s'avale comme des Haribo en plus bruyant, et ça se crache aussi - pfft, pfft, en permanence, partout sur le bitume, ces carcasses, qui font écho à celles des animaux écorchés pendus en entier aux crochets des bouchers, faut bien dire que l'Orient, mon Orient, n'a pas la propreté comme qualité première.
Hospitalité. Désolée pour le cliché, mais voilà, on n'est jamais vraiment seul en Orient, ni en manque de cigarettes ou de bouffe puisque tout est sur la table, partagé, offert - ni  obligée de régler ses problèmes soi-même et sans aide - l'immense différence avec mon pays.
Impossible Intimité : rançon de la vie en communauté tribu, on n'est jamais non plus en petit comité, ou si peu, de manière si difficile, sans cesse dérangée - ce qui explique bien des choses sur les relations personnelles en ce monde, à moins que je ne prenne l'histoire dans le sens inverse.
Inspiration, aussi. Oui l'Orient m'inspire, ça n'a rien d'original, Flaubert et bien d'autres avant lui en ont écrit des pavés, et des meilleurs. Chaque fois que je regarde vers l'Est, je ressens une chose étrange...
Jeu. Les enfants qui jouent au foot, les adultes qui font résonner les plateaux de bois de leur tavla en jetant pions et dés, bon sang j'avais oublié ça aussi, depuis l'Egypte. Parler des habitants de ces pays - Egyptiens Marocains Libanais Turcs que sais-je encore -  comme d'une culture rigide et grave est une absurdité issue de l'obsession médiatique de cinq imbéciles à barbes : en vrai la folie ludique est démesurée ici-Est, et même si je ne la partage pas à vrai dire, étant moi-même rigide et grave (d'où ma passion pour ce qui est à l'opposé de moi), comme lien social, je trouve ça nettement plus classe que la télé (vieille réac, le retour).
Kallam fadi. Ca aussi oui - paroles en l'air, mots vidés de sens, engagements pris dans le brouillard et promesses tant de fois répétées et non tenues, des perles de pluie ah non ça c'est de Brel, des perles des bijoux, des fruits bien mûrs au goût de miel plutôt, oh je connais l'Orient jusqu'à ses inconvénients.
Lumière. Un autre cliché, désolée, mais ce monde est inséparable du soleil à mon sens, et c'est sans doute pour cela au moins autant que mon déménagement que je (re)commence à me sentir en Orient - le retour des beaux jours. La lumière d'Istanbul n'est pas celle du Caire, ni même de Ouarzazat, mais ce n'est pas non plus celle de la France -  toutes les lumières sont différentes du reste et peut-être que je commence à aimer celle-ci.
Misère. Ca encore, oui. Pas trop envie d'en traiter, parce que je peux m'habituer à bien des choses, aux changements de codes, de coutumes, à la saleté, au dépouillement, mais ce foutu gamin précité assis par terre en mille exemplaires, je ne peux pas.
Enfin, paraît que ce n'est guère différent de nos jours en mon pays.
Nuit et jour. L'Orient le vrai ne dort jamais - se reporter à Bruit. Enfin c'est tout de même bien pratique quand je dois acheter des cigarettes à minuit, à trois heures, à six heures, n'importe quand, tout le temps.
Oud. Le oud, oud, cet instrument à douze cordes confondant de simplicité, trop traditionnel pour que les gens d'ici lui prêtent vraiment attention, trop exotique pour que ceux de là-bas l'écoutent autrement que comme une marque de folklore. Et finalement, personne ne perçoit la subtilité de son son. Fort peu de personnes  sur cette terre sont capables de goûter vraiment ce savant mélange d'espoir insensé et de regret vibrant. Le bouillonnement de vie sauvage  d'une  douzaine de poulains arabes qui gambadent en jetant leurs sabots en tout sens, et la tristesse déchirante d'un enfant exilé qui vend des cacahuètes, assis à même le bitume d'une place publique.
Du reste, Adnan jouait du oud.
Patience. Al Sabr.  En France - en Europe, en Occident ? - les gens s'énervent dès qu'il faut faire la queue et moi avec, mais ici, il faut attendre des plombes pour n'importe quoi, n'importe quoi est souvent le terme d'ailleurs, mais on récolte en échange les sourires et les excuses de ceux qui vous font patienter, et du reste s'il n'y a qu'une seule leçon que j'aurais bien besoin d'apprendre, c'est celle-ci.
Pour information, la devise de l'Egypte est al shamt wa el sabr, silence et patience. Mais pour la première valeur, on repassera, et d'ailleurs les devises sont faites pour être admirées, non respectées.
Querelles. Là encore, quoique les Turcs en ce sens soient éloignés des Arabes, et peut-être proches de l'Asie, au sens du calme. Mais vivant dans une rue moitié arabe moitié turque moitié internationale, ce qui est mathématiquement impossible, j'ai droit à tout.
Regards. Oui, ces peuples sont tous sauf neutres, et là où de là d'où je viens personne ne se regarde jamais dans les yeux, ici c'est le contraire - c'est déstabilisant d'abord, réjouissant ensuite, et fatiguant à la longue, et c'est surtout partie intégrante de cette interactivité érigée en loi absolue. Ajoutez à cela le sujet de la frustration sexuelle, on comprend pourquoi j'ai appris à marcher les yeux baissés Al Qahira.
Senteurs. Shisha/Nargileh, viande grillée, viande crue, ordures précitées surtout en été, sueur, chiens et chats plus ou moins errants et en cette ville homologués, parfums virils de mâles et capiteux de femelles, j'en oublie des centaines, mais il n'y a guère plus difficile que d'écrire sur des senteurs.
Thé. Chay. Thé sans cesse consommé ou en cours de préparation, qu'il s'agisse de la théière au feu des Bédouins ou des deux bouilloires métal superposées des Turcs, de l'âcre goût du noir non assaisonné ou du sirop de menthe voire de sauge ou de thym.
Tahina/Tahinli aurais-je pu écrire aussi, cet ingrédient dont je n'ai pas la moindre idée de la nature, qui n'existe pas chez nous, et qui est ce qui se fait de meilleur côté goût addictif, mortel, en somme, surtout lorsqu'on fume en même temps.
Utopie. Bien sûr, l'Orient est une utopie occidentale, comme l'Occident en est une orientale, qui noie des milliers de personnes chaque année, et peut-être moi aussi m'y perdrais-je, d'une manière un peu différente, mais non moins dangereuse - l'Orient est une utopie, mais il existe, je le vois je le goûte je le sens, et je n'arrive pas à m'en lasser.
Vie. Aïcha. Le point de départ, la conclusion de cette énumération dans laquelle j'ai quasiment tout oublié ; je n'ai pas été plus heureuse en Orient, en Turquie, au Maroc ou même en Egypte. Je n'ai pas non plus moins souffert. Mais j'ai plus vécu. Cette sensation organique sauvage que je n'ai jamais ressenti ailleurs dans mes voyages ni dans mon monde natal, en regardant cette nouvelle rue se déverser, s'énerver, bouillonner : la vie est ici plus qu'ailleurs. Aïcha, Aïcha, écoute-moi...

D'ailleurs, j'ai joué mon avenir aux dés il y a quelques jours, avec mon nouveau collocotaire théâtreux joueur permanent et donc emballé par l'idée. HaZard.  Mon avenir, c'est-à-dire, bien sûr, ma future destination. Le résultat a été exactement à la hauteur de mes attentes, comme souvent en Orient - non, en vérité, j'aurais voulu que je ne l'aurais pas obtenu, et ça ne m'a absolument pas aidée dans mon dilemme, si ce n'est pour ne prendre aucune décision, justement.
El Mektub. Ce foutu mektub.

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24 février 2017

Ada - Je suis allée à l'Ile de Ré

Sur la route (bis)

Plate pâleur des journées d'hiver en Charente
Les champs dépenaillés ombres d'arbres gisantes
Fermes abandonnées incendiées inondées
Veillent sur les bornes les rapaces perchés

Défilent le vent la pluie et les noms des lieu-dit
Après dunes et gorges tant d'immensité
De New York à Beirut toutes ces technocités
Se peut-il qu'on prenne plaisir à cet ennui

C'est peut-être  la vitre ouverte basses à fond
L'Attente partagée de la destination
Quand au-dessus des poulains s'ouvre l'arc-en-ciel

Ou alors la senteur de l'herbe de l'été
Relevée dès l'approche du Pont de gros sel
Et des rires de fatigue des passagers.

 

Il y a eu la formation gestion mentale jargon obligatoire sur temps de vacances de merde - merci techeküller encore une fois mon établissement de merde - et puis le dernier jour la tempête de neige welcome back de merde, et j'ai vu clair comme les flocons le moment dans cette longue série de merde où je n'allais pas pouvoir m'échapper m'envoler dégager de la mégalopôle du boulot et cette foutue rutin - et, je l'avoue sans honte, j'ai prié. Très fort. Et il faut croire que c'était convaincant, car le temps que je sorte de ma douche et boucle mon sac la neige avait cessé, et le temps que je marche jusqu'au HAVASBUS le soleil pointait pour la première fois depuis si longtemps que j'avais oublié qu'il existait.


Il y a eu le guichet PEGASUS AIRLINES, un bon présage s'il en fut, et lorsque l'employé m'a annoncé que l'avion était maintenu aucun retard même pas dix minutes, avec une intonation triomphale m'a-t-il semblé, j'ai souri et poussé du reste un El-Hambdullilah cri du coeur.
Et pour une fois, je n'ai rien regretté - même pas d'avoir choisi de passer une semaine en France au mois de janvier plutôt que sous le climat égyptien.
Il y a eu justement du soleil à mon arrivée à Orly, et un temps si agréable qu'après Istanbul ma cigarette et moi nous sommes crues au Club Med. Je continuais à sourire au monde entier, moi, moi - et à Paris qui plus est ! - comprenant enfin, et cette fois je l'avoue avec quelque honte, le sens du mot heimweh, et d'ailleurs étant le premier compatriote que j'ai croisé, j'ai frôlé le bisou au douanier - moi l'anarchiste, c'est vous dire.
Il y a eu le XVIIIème, mon XVIIIème si peu couleur locale et pourtant Paris jusqu'au bout des trottoirs - le contraire au fond de  mon lieu d'existence actuelle : des gens de toutes apparences et origines s'exprimant dans une langue que je connais - ma langue.
Il y a eu les retrouvailles avec l'Amie de Fac, plus d'un an tout de même mais certaines relations restent stables et c'est si plaisant ; et il y a eu le café au lait du matin, les anecdotes de profs, et l'Italien petit bistrot à unique serveur et menu sur ardoise, et au Prosciutto léger comme cette soirée.
Il y a eu ma meilleure amie et nos sempiternelles balades de Barbès au Sacré-Coeur, chinage dans les friperies de Pigalle et cocktails en terrasse, décidément le Club Med, et notre discussion jamais interrompue sur les choses le monde et l'état désormais résumé de nos vies - six mois tout de même, mais certaines relations restent tout court et c'est ce qu'il y a de mieux.
Il y a eu encore mes marches solo à grande échelle dans cette capitale si humaine, départ Marcadet arrivée Quartier Latin en passant par le Marché Saint-Quentin pour les Boskoop, Saint-Paul pour les financiers griottes, et jusque Gibert pour les livres - autant de produits exotiques pour une exilée comme moi - et déjà il était temps de prendre le train.


Il y a eu l'arrivée à la gare la voiture maternelle la nationale et puis le passage du Pont, et ce jour-là moi l'hyperactive moi l'aventurière moi qui ai tant rêvé Espace en ces mois de consummation urbaine - je ne suis tout simplement pas sortie. J'ai franchi le portail, laissé tomber mon sac et moi aussi.
Et il y a eu enfin la sensation la plus proche d'un home sweet home dans ma vie : avec la Digue qui achève mon Ile à l'Ouest, qui achève d'ailleurs l'Europe toute entière vers l'Ouest, la fin d'un monde et l'opposé diamétral d'Istanbul quand on y songe, la salle commune, la salle à manger à boire et à festoyer, murs de pierre meubles de bois, le feu de cheminée, les chats dans un fauteuil, moi dans un autre, et le premier Pineau avec ma mère - comme si je n'étais jamais partie, l'émerveillement en plus.
Il y a eu naturellement d'autres Pineau, ce goût de l'Ile de Ré, avec les huîtres la salicorne et les caramels au beurre salé, avec d'autres locaux dans d'autres antres - l'Ecurie, sinon quoi d'autre ?
Il y a eu l'Ecurie en journée, la pluie la boue et je m'en foutais, les tâches  de l'ordinaire, nourrir, brosser, déplacer, nettoyer, ranger, se faire engueuler ; les chevaux, les chiens, les sièges de paille et les brins de foin.
Il y a eu l'Ecurie en soirée, avec La Cavalière et l'Espagnole, l'Anglaise et Colloc, et bien d'autres, et le Cow-Boy bien sûr le Cow-Boy et son mot d'introduction, avec Salut la Folle du Désert ! (encore une chose que j'avais oubliée), une fois tous posés pour l'apéro dans son chez-lui : - C'est drôle de te voir assise là, j'ai l'impression que c'était hier en fait...
Il y a eu ma réponse directe, spontanée : - Ouais bah en tout cas chuis bien contente d'être là. Je vous aime bien, voilà.
L'ai-je vraiment dit cette phrase, ces deux phrases si monstrueuses et devant tant de monde en plus, ceux qui me connaissent savent que ça frôle l'incroyable, même si je le ressentais dans chaque parcelle de ma chair.
Il y a eu cette autre remarque pseudo-désinvolte du Cow-Boy : et toi, toi, quand est-ce que tu te décides à t'installer que je t'offre un cheval ? N'en rajoute pas bordel tu me connais trop bien pour ne pas savoir que tu es en train d'exprimer mon rêve de toujours.
Il y a eu cette soirée-apéro-adieux comme à l'ordinaire, devant la cheminée encore, enfin moi surtout, les autres autour de la table. Lena, qu'est-ce que tu fous viens avec nous, tu t'exclus, là.
... Mais bien sûr que je m'exclus j'ai toujours été exclue, ou je me suis toujours exclue allez savoir, c'est l'histoire de ma vie l'exclusion, étrangère, stranger, yabancee, agnabeya, pourquoi croyez-vous que je vis à l'étranger ? Mais vous savez ça ne change rien, que je rejoigne la table ou pas, je suis bien là, je vous aime voilà, pas bien, mais tout court, j'aime cette sensation de chaleur, d'être entourée, de n'être plus seule, de ce vacarme cette communion, et je n'ai pas besoin de participer ni même de m'inclure, que vous soyez là maintenant tout de suite et même depuis longtemps quoique même pas si souvent m'est assez, voilà.
Evidemment, cela, je ne l'ai pas dit.

Il y a eu tout de même ces photos groupées, groupées autour de mon fauteuil présidentiel d'exclue, ce ridicule rituel que j'ai toujours fui et sur lesquelles pourtant je souris de toutes mes vilaines dents, wallah j'ai quasi l'air heureuse - ou simplement amusée par les conneries ordinaires du Cow-Boy invisible derrière moi qui trouvait que ma couronne carton doré de reine de la galette m'allait mieux en soutien-gorge qu'en couvre-chef.
Il y a eu pour finir le jour suivant, déformé en poème charentais pour une fois - j'avais oublié cela aussi avec l'Ile et l'Ecurie, il n'est rien de pire déprime que les jours de gueule de bois suivant les soirées, sauf quand on se retrouve avec les mêmes personnes et des chevaux. La voiture bondée, le passage du Pont, les routes de Vendée, la fumée partagée, l'arrêt MacDo et engueulade avec le take-away, avancez jusqu'à la borne suivante. - Mais je fais ce que je veux !  L'autoradio boum-boum écoute comme le son est bon ouais j'écoute, j'écoute, je ne fais que ça là tu vois. Et soudain, cette chanson : Où es-tu Manu Manu Rêva, dont j'ai raconté l'histoire au Cow-Boy, du moins l'histoire officielle, avant de me taire prise de vertiges - la chanson de la perte de la disparition de mon départ en Egypte, j'me tire, une fois de plus. Si j'reste, les gens me fuiront sûrement comme la peste, la vérité c'est que j'm'autodéteste, faut qu'j'préserve tout ce qu'il me reste

...  Mon départ en Turquie était imminent du reste, et malgré ma peine j'ai souri au lieu de pleurer, songeant que depuis ces années j'avais dû tout de même faire du chemin, jeu de mot exclu, puisque je repartais avec de la peine.
Et le mot de la fin, comme d'habitude par celui qui se prétend dénué de talent et même de capacités en ce domaine - au milieu de la rue du Havre où il m'avait déposé comme à l'ordinaire, Pont repassé dans le sens inverse pour la dernière fois :
- Fais attention à toi dans ce monde de fous, hein ?
- ... Je fais ce que je peux, mec. Je fais ce que je peux.

sans-titre

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