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Agnabeya
11 avril 2017

Le Sel de l'Ayran

Remarque linguistique du jour : je remarque seulement maintenant il m'a fallu le temps à  quel point le NON turc, HAYIR, ressemble au mot AILLEURS - car l'antepénultième n'est pas un i mais ce phonème local sans point, I, dont le son - que je reste incapable de prononcer correctement - est proche d'un eu, en plus guttural.
HAYIR, AILLEURS. Donc.


Si d'aventure j'ai l'énergie et l'inspiration pour écrire un roman sur Istanbul, cela pourrait faire un bon titre - après Khabour ya Dabour, mon roman de l'Egypte, Hayir.
Autre possibilité, à laquelle j'ai pensé ces derniers temps : Le Sel de l'Ayran. 
Je ne sais si j'ai déjà évoqué l'Ayran en ces pages, alors, au risque de me répéter : l'Ayran se boit, l'Ayran est du yaourt dilué avec de l'eau, l'Ayran est salé - voire très salé - et moi qui n'aime guère boire autre chose que du thé et de l'eau les jours cleans, du café et de l'alcool les jours impurs, moi qui digère mal tout produit laitier, moi enfin qui préfère le sucre au sel, il se trouve que j'ai développé en Turquie une véritable passion pour l'Ayran.
Il existe de l'Ayran sans sel, mon colloc, qui n'est pas branché sur ce condiment, m'en a déjà fait, mais j'ai trouvé cela nettement moins intéressant, et, honte à moi, j'ai continué celui du supermarché au détriment du maison - ou alors on en revient à mon sempiternel refus du don.
L'Ayran. Donc.
Il faut être plus que voyageur, il faut être nomade au long terme (mais n'est-ce pas une absurdité ?) pour savoir que chaque pays a un goût une odeur un son une musique une couleur et j'en passe. Ces caractéristiques ne sont bien sûr perceptibles que par les étrangers - ou alors il faut avoir quitté son pays pour les reconnaître, et quand on parvient à mettre le doigt dessus, c'est sans doute que notre séjour touche à sa fin, ou qu'on commence à l'aimer (aimer vraiment, pour ce qu'il est, et non pour l'attrait de l'inconnu), ce qui est la même chose.
L'Egypte, au hasard, a la couleur du safran (c'est du moins ce qui se rapproche le plus de cet ocre brouillé qui n'existe pas chez nous, celui des aubes, de l'air surpollué du Caire et du Sahara), l'odeur de la shisha , et le goût du foul du petit déjeuner. Le Maroc, du moins son Sud, que j'ai le plus connu, est rouge-rose, une autre couleur qui n'a pas de nom, celle des bâtiments de Ouarzazat, de la terre et des pierres des campagnes, et il a le goût de l'huile d'olive et l'odeur du cumin - à moins que ce soit le contraire.
Je ne connais pas les couleurs d'Istanbul, il faudra que je la quitte pour comprendre. J'ai envie de dire le gris, mais c'est un peu triste, et puis ces jours-ci il y a la lumière des petits matins, et le bleu unique du ciel. Quant à son odeur, ce doit être celle des kebabs que je ne mange pas pour sûr, et puis il y a le Bosphore, son apport d'air frais, piquant, qui purifie un peu de la pollution mégalopolesque - salé, en somme.
Si l'Egypte est sucrée, la Turquie est salée - mais moi j'aime le sel, ou peut-être ai-je appris à l'aimer. Du reste, lorsque j'ai essayé de m'en passer, pour d'obscures raisons de santé et d'artères (alors que tout va très bien entre mon paquet de Camel quotidien et plus si affinités et moi, tesekkürler iyi aksamlar, merci bonsoir), je n'ai pas tardé à goûter la joies des chutes de tension, et en pleine leçon de surcroît. Ce qu'on pourrait aisément prendre comme une métaphore.
Pour conclure sur l'Ayran, il va très bien avec le simit, ce petit pain troué au centre local qui n'a pas grand goût, mais adoucit le premier et se trouve relevé par lui. Ayran et simit, donc ? Non, je préfère décidément Le Sel de l'Ayran.

... N'est-ce pas du reste ce que je cherche depuis le début, depuis que j'ai choisi, choisi oui de séjourner (pas m'installer - jamais) ici, tournant le dos à ces deux dernières années peinardes à travailler dans des établissements français de Charente-Maritime, à arpenter des sentiers tranquilles de villes de campagne, à faire mes courses en comprenant les enseignes des supermarchés, à commander mes verres dans ma langue natale, à roupiller la moitié du temps dans mon lit d'enfant de chez Maman et à faire la fête avec des compatriotes cavaliers sans jamais de problème de traduction - à défaut de compréhension.
Peu de jours auparavant, je larmoyais à ma meilleure amie mon envie de stabilité, et elle m'a répondu sans ambages qu'elle doutait que je puisse me passer d'Aventure, de ma vie trépidante.
Et me voilà en Turquie depuis sept mois - yedi ay - presque les trois quarts de l'année scolaire écoulés, et ce que je cherche en ce temps comme une urgence avant la fin, c'est un roman, son roman - mon roman. Le roman d'Istanbul.
Il y a eu celui de l'Egypte, et puis il y a eu ces deux années sans envergure, et puis maintenant il y a Istanbul. Tant de temps écoulé déjà, et ayant décidé de ne pas y passer plus d'un an même si incha'Allah, je commence à m'inquiéter franchement, car je n'ai pas assez de matière. La structure viendra avec, et même la thématique, mais c'est justement le problème, il me manque les faits marquants, le bruit et la fureur, la peur et le combat, les aventures, l'Aventure, le ou les points d'orgue qui feront de mon séjour ici un roman et non juste un blog d'expatriée.
Bref, j'en reviens toujours au même point : il me manque ces trois minutes plus longues plus importantes plus intenses que le reste de ma vie où ma tête a rencontré le bord du trottoir dans une rue d'Al Qahira - et cette cicatrice couverte par mes cheveux mais qui est toujours là, que je sens en y passant la main, qui sera toujours là (elle).
Et peut-être que ce qui me fait le plus peur, c'est de quoi je suis capable, plus ou moins inconsciemment, pour en arriver, en revenir là.

D'ailleurs, j'ai une semaine de vacances et j'me tire en Egypte - comme d'hab quoi.

Haydi, Gürüchüluch - yalla !

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