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Agnabeya
24 février 2017

Ada - Je suis allée à l'Ile de Ré

Sur la route (bis)

Plate pâleur des journées d'hiver en Charente
Les champs dépenaillés ombres d'arbres gisantes
Fermes abandonnées incendiées inondées
Veillent sur les bornes les rapaces perchés

Défilent le vent la pluie et les noms des lieu-dit
Après dunes et gorges tant d'immensité
De New York à Beirut toutes ces technocités
Se peut-il qu'on prenne plaisir à cet ennui

C'est peut-être  la vitre ouverte basses à fond
L'Attente partagée de la destination
Quand au-dessus des poulains s'ouvre l'arc-en-ciel

Ou alors la senteur de l'herbe de l'été
Relevée dès l'approche du Pont de gros sel
Et des rires de fatigue des passagers.

 

Il y a eu la formation gestion mentale jargon obligatoire sur temps de vacances de merde - merci techeküller encore une fois mon établissement de merde - et puis le dernier jour la tempête de neige welcome back de merde, et j'ai vu clair comme les flocons le moment dans cette longue série de merde où je n'allais pas pouvoir m'échapper m'envoler dégager de la mégalopôle du boulot et cette foutue rutin - et, je l'avoue sans honte, j'ai prié. Très fort. Et il faut croire que c'était convaincant, car le temps que je sorte de ma douche et boucle mon sac la neige avait cessé, et le temps que je marche jusqu'au HAVASBUS le soleil pointait pour la première fois depuis si longtemps que j'avais oublié qu'il existait.


Il y a eu le guichet PEGASUS AIRLINES, un bon présage s'il en fut, et lorsque l'employé m'a annoncé que l'avion était maintenu aucun retard même pas dix minutes, avec une intonation triomphale m'a-t-il semblé, j'ai souri et poussé du reste un El-Hambdullilah cri du coeur.
Et pour une fois, je n'ai rien regretté - même pas d'avoir choisi de passer une semaine en France au mois de janvier plutôt que sous le climat égyptien.
Il y a eu justement du soleil à mon arrivée à Orly, et un temps si agréable qu'après Istanbul ma cigarette et moi nous sommes crues au Club Med. Je continuais à sourire au monde entier, moi, moi - et à Paris qui plus est ! - comprenant enfin, et cette fois je l'avoue avec quelque honte, le sens du mot heimweh, et d'ailleurs étant le premier compatriote que j'ai croisé, j'ai frôlé le bisou au douanier - moi l'anarchiste, c'est vous dire.
Il y a eu le XVIIIème, mon XVIIIème si peu couleur locale et pourtant Paris jusqu'au bout des trottoirs - le contraire au fond de  mon lieu d'existence actuelle : des gens de toutes apparences et origines s'exprimant dans une langue que je connais - ma langue.
Il y a eu les retrouvailles avec l'Amie de Fac, plus d'un an tout de même mais certaines relations restent stables et c'est si plaisant ; et il y a eu le café au lait du matin, les anecdotes de profs, et l'Italien petit bistrot à unique serveur et menu sur ardoise, et au Prosciutto léger comme cette soirée.
Il y a eu ma meilleure amie et nos sempiternelles balades de Barbès au Sacré-Coeur, chinage dans les friperies de Pigalle et cocktails en terrasse, décidément le Club Med, et notre discussion jamais interrompue sur les choses le monde et l'état désormais résumé de nos vies - six mois tout de même, mais certaines relations restent tout court et c'est ce qu'il y a de mieux.
Il y a eu encore mes marches solo à grande échelle dans cette capitale si humaine, départ Marcadet arrivée Quartier Latin en passant par le Marché Saint-Quentin pour les Boskoop, Saint-Paul pour les financiers griottes, et jusque Gibert pour les livres - autant de produits exotiques pour une exilée comme moi - et déjà il était temps de prendre le train.


Il y a eu l'arrivée à la gare la voiture maternelle la nationale et puis le passage du Pont, et ce jour-là moi l'hyperactive moi l'aventurière moi qui ai tant rêvé Espace en ces mois de consummation urbaine - je ne suis tout simplement pas sortie. J'ai franchi le portail, laissé tomber mon sac et moi aussi.
Et il y a eu enfin la sensation la plus proche d'un home sweet home dans ma vie : avec la Digue qui achève mon Ile à l'Ouest, qui achève d'ailleurs l'Europe toute entière vers l'Ouest, la fin d'un monde et l'opposé diamétral d'Istanbul quand on y songe, la salle commune, la salle à manger à boire et à festoyer, murs de pierre meubles de bois, le feu de cheminée, les chats dans un fauteuil, moi dans un autre, et le premier Pineau avec ma mère - comme si je n'étais jamais partie, l'émerveillement en plus.
Il y a eu naturellement d'autres Pineau, ce goût de l'Ile de Ré, avec les huîtres la salicorne et les caramels au beurre salé, avec d'autres locaux dans d'autres antres - l'Ecurie, sinon quoi d'autre ?
Il y a eu l'Ecurie en journée, la pluie la boue et je m'en foutais, les tâches  de l'ordinaire, nourrir, brosser, déplacer, nettoyer, ranger, se faire engueuler ; les chevaux, les chiens, les sièges de paille et les brins de foin.
Il y a eu l'Ecurie en soirée, avec La Cavalière et l'Espagnole, l'Anglaise et Colloc, et bien d'autres, et le Cow-Boy bien sûr le Cow-Boy et son mot d'introduction, avec Salut la Folle du Désert ! (encore une chose que j'avais oubliée), une fois tous posés pour l'apéro dans son chez-lui : - C'est drôle de te voir assise là, j'ai l'impression que c'était hier en fait...
Il y a eu ma réponse directe, spontanée : - Ouais bah en tout cas chuis bien contente d'être là. Je vous aime bien, voilà.
L'ai-je vraiment dit cette phrase, ces deux phrases si monstrueuses et devant tant de monde en plus, ceux qui me connaissent savent que ça frôle l'incroyable, même si je le ressentais dans chaque parcelle de ma chair.
Il y a eu cette autre remarque pseudo-désinvolte du Cow-Boy : et toi, toi, quand est-ce que tu te décides à t'installer que je t'offre un cheval ? N'en rajoute pas bordel tu me connais trop bien pour ne pas savoir que tu es en train d'exprimer mon rêve de toujours.
Il y a eu cette soirée-apéro-adieux comme à l'ordinaire, devant la cheminée encore, enfin moi surtout, les autres autour de la table. Lena, qu'est-ce que tu fous viens avec nous, tu t'exclus, là.
... Mais bien sûr que je m'exclus j'ai toujours été exclue, ou je me suis toujours exclue allez savoir, c'est l'histoire de ma vie l'exclusion, étrangère, stranger, yabancee, agnabeya, pourquoi croyez-vous que je vis à l'étranger ? Mais vous savez ça ne change rien, que je rejoigne la table ou pas, je suis bien là, je vous aime voilà, pas bien, mais tout court, j'aime cette sensation de chaleur, d'être entourée, de n'être plus seule, de ce vacarme cette communion, et je n'ai pas besoin de participer ni même de m'inclure, que vous soyez là maintenant tout de suite et même depuis longtemps quoique même pas si souvent m'est assez, voilà.
Evidemment, cela, je ne l'ai pas dit.

Il y a eu tout de même ces photos groupées, groupées autour de mon fauteuil présidentiel d'exclue, ce ridicule rituel que j'ai toujours fui et sur lesquelles pourtant je souris de toutes mes vilaines dents, wallah j'ai quasi l'air heureuse - ou simplement amusée par les conneries ordinaires du Cow-Boy invisible derrière moi qui trouvait que ma couronne carton doré de reine de la galette m'allait mieux en soutien-gorge qu'en couvre-chef.
Il y a eu pour finir le jour suivant, déformé en poème charentais pour une fois - j'avais oublié cela aussi avec l'Ile et l'Ecurie, il n'est rien de pire déprime que les jours de gueule de bois suivant les soirées, sauf quand on se retrouve avec les mêmes personnes et des chevaux. La voiture bondée, le passage du Pont, les routes de Vendée, la fumée partagée, l'arrêt MacDo et engueulade avec le take-away, avancez jusqu'à la borne suivante. - Mais je fais ce que je veux !  L'autoradio boum-boum écoute comme le son est bon ouais j'écoute, j'écoute, je ne fais que ça là tu vois. Et soudain, cette chanson : Où es-tu Manu Manu Rêva, dont j'ai raconté l'histoire au Cow-Boy, du moins l'histoire officielle, avant de me taire prise de vertiges - la chanson de la perte de la disparition de mon départ en Egypte, j'me tire, une fois de plus. Si j'reste, les gens me fuiront sûrement comme la peste, la vérité c'est que j'm'autodéteste, faut qu'j'préserve tout ce qu'il me reste

...  Mon départ en Turquie était imminent du reste, et malgré ma peine j'ai souri au lieu de pleurer, songeant que depuis ces années j'avais dû tout de même faire du chemin, jeu de mot exclu, puisque je repartais avec de la peine.
Et le mot de la fin, comme d'habitude par celui qui se prétend dénué de talent et même de capacités en ce domaine - au milieu de la rue du Havre où il m'avait déposé comme à l'ordinaire, Pont repassé dans le sens inverse pour la dernière fois :
- Fais attention à toi dans ce monde de fous, hein ?
- ... Je fais ce que je peux, mec. Je fais ce que je peux.

sans-titre

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