Et comme d'habitude, je me retrouve dans un aéroport gris et vitré, Roissy-Charles de Gaulle pour bien faire les choses jusqu'au bout, attendant l'heure d'enregistrement car pour une fois miracle je suis très en avance, désoeuvrée. La sensation de vide, de neutralité, ce qui rime avec liberté, de ces espaces-là.

A moins qu'il ne faille remonter un peu plus avant, les derniers jours sur l'Ile : comme d'habitude - encore ! - je marchais entre mal assurée et décidée, dans les petites rues désertes de deux trois à moins que ce ne soit quatre heures du matin, et je me suis revue des années auparavant suivre le même tracé, dans des circonstances si semblables que ça ressemblait à une projection plus qu'à un rêve : sortant du même appartement plein de musique, de fumée et, oui, de compagnons, et dans la poitrine cette sensation de chaleur - c'était bien tout de même - et au creux de l'estomac ces picotements - Ô Monde je vais te dévorer tout cru, tu me vois tu m'entends j'arrive à ta rencontre, absence de griffes recourbées, j'accourre sans phares et sans filtre, on va voir ce qu'on va voir - et dans les oreilles cette ritournelle - me demande pas pourquoi chuis partie sans motif...
En fait, si, vous pouvez : parce que ce n'était pas assez. C'était bien tout de même, mais ce n'était pas assez, ce n'est jamais assez, et c'est pour cela que je me suis arrachée à la cheminée, aux champs jaunis de la fin de saison, aux verres partagés sur diverses tables en bois vermoulu et même à l'odeur de cheval et à tous ceux qui la portent.

J'ai eu du mal, d'ailleurs. En vrai, ce qui m'a interpelée, même dans un état second, c'est justement que lesdits picotements, cette vague surpuissante qui m'a toujours permis de tout quitter yalla ma'a salam (je sais, l'arabe égyptien appartient à une page tournée), me semblait moins puissante, toujours là mais comme amoindrie, calmée, écornée - la faute à la trentaine, aux six points de suture ou peut-être à l'encroûtement maritime de ces deux dernières années ? Raison de plus, du reste, pour tenter d'y remédier avant qu'il ne soit trop tard.

Vers l'Orient, donc. Encore et toujours vers l'Orient - au fond, je suis une sorte de professeur Tournesol en miroir : certes, je n'ai pas ni barbiche ni lorgnons, mais je n'écoute jamais qu'à moitié ce que les gens me disent, et mon pendule imaginaire oscille perpétuellement à l'Est, pardon, un peu plus à l'Est (depuis que j'ai lu Boussole de Mathias Enard je rêve d'en avoir une qui indiquerait cette direction-là) bien que je soupçonne que je n'y trouverai point ce que je cherche - mais qu'est-ce que je cherche ?

Cet été aura au moins eu le mérite de me rappeler quelque chose - que je suis impardonnable d'avoir oublié, certes, mais on chargera ma hernie-sciatique, qui a bon dos : ce que je préfère entre toute autre chose en ce monde, sur la plage du nord de l'Ile, aux portes du Sahara égyptien, dans la plaine rocheuse marocaine et sans doute bien d'autres lieux, c'est cet instant où ma monture prend son élan, à partir de l'arrêt c'est plus spectaculaire, l'excitation suintant du déchaînement imminent, et pourtant pas encore établi, cette seconde de flottement avant le départ au galop. Ce que je préfère, ce doit être le départ au galop, en somme.

A nous deux, Istanbul !

J'Me Tire - etc.

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