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Agnabeya
4 mars 2017

Enfin l'Orient ?

Abécédaire oriental


C'est drôle comme il suffit parfois de changer d'endroit, même une semaine, ou même de cent mètres, pour que soudain tout change. J'ai fait les deux en ce dernier mois - et n'est-ce pas pour cela, changer, que je bouge autant ?
A moins que le fait d'aller au plus possible à l'Ouest - mon Ile, dernier phare avant l'Atlantique - m'ait ironiquement retransportée à l'Est, réorientée.

Adhan, Allah, sinon quoi d'autre, ou peut-être simplement A tout court ? Cet A emphatique qui fonde partiellement l'islam et au moins tout entier la prière - Aaaallaah akbar, haaaaayyaaat el saaaalah, la illalaaaah... - si omniprésent dans la langue arabe, jusqu'aux noms de ceux que j'ai eu la chance de connaître - yaaaa Shaaaaaady, Samahh, Layla.
Babel. Du nom premièrement du café dans lequel j'ai établi mes quartiers pour écrire Internet et la musique, mais aussi parce que Istanbul en général et ma nouvelle rue résonne de langues diverses et variées, du turc au kurde, du français à l'allemand en passant bien sûr par l'anglais touriste, les idiomes africains, et l'arabe, les arabes, du Golfe de Syrie ou encore du Maghreb - sans parler des dialectes.
Charivari. Tant de bruit, tout le temps, à si haut volume - musique, discussions sans prendre garde à brider la voix, véhicules divers et pareillement pétaradant, klaxons, après des mois dans une rue ennuyeuse et calme je dois avouer que j'ai du mal à me retrouver soudain Al Qahira.
Dehors. Tout le monde à l'extérieur, en permanence, là-bas les hommes et les enfants, et ici même les femmes, dehors pour acheter des trucs, dehors à discuter, ou dehors simplement pour être dehors, parfois carrément sur le pas de la porte ouverte, ou "dans" les boutiques qui n'ont pas de séparation avec la rue, surtout avec le retour des beaux jours, mais quel bonheur. La vie est dehors, l'Orient a compris - entre autres - cela.
Enfants. Des enfants, des tas d'enfants, partout, tout le temps, de tous âges, braillant, s'amusant, traînant dans la rue, exactement ce qu'on vilipenderait dans le monde duquel je viens - et tous les bons milieux quand j'y pense. Mais moi aussi j'ai fait du vélo et même organisé des balles au prisonnier ou sonné à des portes avant de déguerpir en totale impunité et absence des parents, alors, désolée pour le côté vieil réac' mais je reste persuadée que c'était quand même mieux que Super Mario - auquel j'ai joué aussi, mais beaucoup moins.
Fumée. Ces milliards de cigarettes, sans parler du reste, offertes  partagées refilées mises en commun sur la table ou le killim, et je ne cherche pas d'excuse je fumais avant, depuis mes études parisiennes pour être précise, mais c'est en Egypte que je suis devenue une vraie fumeuse. Et je le suis restée.
Et la shisha. Bordel la shisha. Il y a d'ailleurs un café tout ce qu'il y a de plus tradi, tables vétustes et carbon, dans ma nouvelle rue, et je compte bien m'offrir ça fait si longtemps un nargileh, comme ils disent ici, dès que mon angine carabinée sera un peu passée.
Graines de tournesol. Ca se mâche et s'avale comme des Haribo en plus bruyant, et ça se crache aussi - pfft, pfft, en permanence, partout sur le bitume, ces carcasses, qui font écho à celles des animaux écorchés pendus en entier aux crochets des bouchers, faut bien dire que l'Orient, mon Orient, n'a pas la propreté comme qualité première.
Hospitalité. Désolée pour le cliché, mais voilà, on n'est jamais vraiment seul en Orient, ni en manque de cigarettes ou de bouffe puisque tout est sur la table, partagé, offert - ni  obligée de régler ses problèmes soi-même et sans aide - l'immense différence avec mon pays.
Impossible Intimité : rançon de la vie en communauté tribu, on n'est jamais non plus en petit comité, ou si peu, de manière si difficile, sans cesse dérangée - ce qui explique bien des choses sur les relations personnelles en ce monde, à moins que je ne prenne l'histoire dans le sens inverse.
Inspiration, aussi. Oui l'Orient m'inspire, ça n'a rien d'original, Flaubert et bien d'autres avant lui en ont écrit des pavés, et des meilleurs. Chaque fois que je regarde vers l'Est, je ressens une chose étrange...
Jeu. Les enfants qui jouent au foot, les adultes qui font résonner les plateaux de bois de leur tavla en jetant pions et dés, bon sang j'avais oublié ça aussi, depuis l'Egypte. Parler des habitants de ces pays - Egyptiens Marocains Libanais Turcs que sais-je encore -  comme d'une culture rigide et grave est une absurdité issue de l'obsession médiatique de cinq imbéciles à barbes : en vrai la folie ludique est démesurée ici-Est, et même si je ne la partage pas à vrai dire, étant moi-même rigide et grave (d'où ma passion pour ce qui est à l'opposé de moi), comme lien social, je trouve ça nettement plus classe que la télé (vieille réac, le retour).
Kallam fadi. Ca aussi oui - paroles en l'air, mots vidés de sens, engagements pris dans le brouillard et promesses tant de fois répétées et non tenues, des perles de pluie ah non ça c'est de Brel, des perles des bijoux, des fruits bien mûrs au goût de miel plutôt, oh je connais l'Orient jusqu'à ses inconvénients.
Lumière. Un autre cliché, désolée, mais ce monde est inséparable du soleil à mon sens, et c'est sans doute pour cela au moins autant que mon déménagement que je (re)commence à me sentir en Orient - le retour des beaux jours. La lumière d'Istanbul n'est pas celle du Caire, ni même de Ouarzazat, mais ce n'est pas non plus celle de la France -  toutes les lumières sont différentes du reste et peut-être que je commence à aimer celle-ci.
Misère. Ca encore, oui. Pas trop envie d'en traiter, parce que je peux m'habituer à bien des choses, aux changements de codes, de coutumes, à la saleté, au dépouillement, mais ce foutu gamin précité assis par terre en mille exemplaires, je ne peux pas.
Enfin, paraît que ce n'est guère différent de nos jours en mon pays.
Nuit et jour. L'Orient le vrai ne dort jamais - se reporter à Bruit. Enfin c'est tout de même bien pratique quand je dois acheter des cigarettes à minuit, à trois heures, à six heures, n'importe quand, tout le temps.
Oud. Le oud, oud, cet instrument à douze cordes confondant de simplicité, trop traditionnel pour que les gens d'ici lui prêtent vraiment attention, trop exotique pour que ceux de là-bas l'écoutent autrement que comme une marque de folklore. Et finalement, personne ne perçoit la subtilité de son son. Fort peu de personnes  sur cette terre sont capables de goûter vraiment ce savant mélange d'espoir insensé et de regret vibrant. Le bouillonnement de vie sauvage  d'une  douzaine de poulains arabes qui gambadent en jetant leurs sabots en tout sens, et la tristesse déchirante d'un enfant exilé qui vend des cacahuètes, assis à même le bitume d'une place publique.
Du reste, Adnan jouait du oud.
Patience. Al Sabr.  En France - en Europe, en Occident ? - les gens s'énervent dès qu'il faut faire la queue et moi avec, mais ici, il faut attendre des plombes pour n'importe quoi, n'importe quoi est souvent le terme d'ailleurs, mais on récolte en échange les sourires et les excuses de ceux qui vous font patienter, et du reste s'il n'y a qu'une seule leçon que j'aurais bien besoin d'apprendre, c'est celle-ci.
Pour information, la devise de l'Egypte est al shamt wa el sabr, silence et patience. Mais pour la première valeur, on repassera, et d'ailleurs les devises sont faites pour être admirées, non respectées.
Querelles. Là encore, quoique les Turcs en ce sens soient éloignés des Arabes, et peut-être proches de l'Asie, au sens du calme. Mais vivant dans une rue moitié arabe moitié turque moitié internationale, ce qui est mathématiquement impossible, j'ai droit à tout.
Regards. Oui, ces peuples sont tous sauf neutres, et là où de là d'où je viens personne ne se regarde jamais dans les yeux, ici c'est le contraire - c'est déstabilisant d'abord, réjouissant ensuite, et fatiguant à la longue, et c'est surtout partie intégrante de cette interactivité érigée en loi absolue. Ajoutez à cela le sujet de la frustration sexuelle, on comprend pourquoi j'ai appris à marcher les yeux baissés Al Qahira.
Senteurs. Shisha/Nargileh, viande grillée, viande crue, ordures précitées surtout en été, sueur, chiens et chats plus ou moins errants et en cette ville homologués, parfums virils de mâles et capiteux de femelles, j'en oublie des centaines, mais il n'y a guère plus difficile que d'écrire sur des senteurs.
Thé. Chay. Thé sans cesse consommé ou en cours de préparation, qu'il s'agisse de la théière au feu des Bédouins ou des deux bouilloires métal superposées des Turcs, de l'âcre goût du noir non assaisonné ou du sirop de menthe voire de sauge ou de thym.
Tahina/Tahinli aurais-je pu écrire aussi, cet ingrédient dont je n'ai pas la moindre idée de la nature, qui n'existe pas chez nous, et qui est ce qui se fait de meilleur côté goût addictif, mortel, en somme, surtout lorsqu'on fume en même temps.
Utopie. Bien sûr, l'Orient est une utopie occidentale, comme l'Occident en est une orientale, qui noie des milliers de personnes chaque année, et peut-être moi aussi m'y perdrais-je, d'une manière un peu différente, mais non moins dangereuse - l'Orient est une utopie, mais il existe, je le vois je le goûte je le sens, et je n'arrive pas à m'en lasser.
Vie. Aïcha. Le point de départ, la conclusion de cette énumération dans laquelle j'ai quasiment tout oublié ; je n'ai pas été plus heureuse en Orient, en Turquie, au Maroc ou même en Egypte. Je n'ai pas non plus moins souffert. Mais j'ai plus vécu. Cette sensation organique sauvage que je n'ai jamais ressenti ailleurs dans mes voyages ni dans mon monde natal, en regardant cette nouvelle rue se déverser, s'énerver, bouillonner : la vie est ici plus qu'ailleurs. Aïcha, Aïcha, écoute-moi...

D'ailleurs, j'ai joué mon avenir aux dés il y a quelques jours, avec mon nouveau collocotaire théâtreux joueur permanent et donc emballé par l'idée. HaZard.  Mon avenir, c'est-à-dire, bien sûr, ma future destination. Le résultat a été exactement à la hauteur de mes attentes, comme souvent en Orient - non, en vérité, j'aurais voulu que je ne l'aurais pas obtenu, et ça ne m'a absolument pas aidée dans mon dilemme, si ce n'est pour ne prendre aucune décision, justement.
El Mektub. Ce foutu mektub.

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