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Agnabeya
3 avril 2017

EVET/HAYIR

En ce printemps à Istanbul
Ne fleurissent pas seulement les parterres
(De leur bleu violet je me soûle)
Mais les banderoles autocollants et bannières
Par les haut-parleur ponctués
Impossible d'y échapper c'est là la visée


Evet/Hayir dichotomie fondamentale
Evet/Hayir c'est la saison
Une illusion de décision
Si différente de la vie en général ?

 

Une fois n'est pas coutume, je m'éloigne de l'écrit narcissique (sic) pour tenter d'élaborer une note politique, ou du moins, sur la politique - au risque de rejouer Midnight Express, attention ça ne rigole plus - ou plutôt si, un peu d'action bordel, on est aventurière guerrière ou on ne l'est pas.

D'abord s'impose un léger établissement du contexte.
Géographiquement, la Turquie est un pays à cheval (ô ce terme) ; et Istanbul, eh bien, on ne peut trouver plus à cheval. Byzance Constantinople Istanbul, la seule cité au monde qui s'étend se partage et oui s'écartèle entre deux continents. Avrupa. Asia. D'où la plaisanterie locale : aujourd'hui je vais en Asie - rien de plus facile, il suffit de prendre le ferry.
Or cette drôle de situation géographique implique situation historique culturelle et donc politique. Je ne vais pas rejouer l'Empire Ottoman, y a pas marqué SORBONNARDE RONFLANTE là, mais remontons tout de même juste après, à Atatürk - Atatürk figure de proue en ces terres, au point que j'ai souvent été tentée de juger son culte de la personnalité un peu ridicule, mais là n'est pas le propos.
Atatürk, donc, a fondé la Turquie moderne dans la première partie du XXème, et son parti-pris a été de faire regarder cette contrée inbetween (tiens donc) vers l'Occident et non vers l'Orient.  Certes il a gardé les mosquées, quoiqu'envisagé de faire chanter l'adhan en turc et non en arabe (quelle hérésie), mais il a choisi l'alphabet européen pour son pays, et instauré une république laïque. Il paraît du reste qu'il se targuait d'avoir les yeux clairs.

C'était il y a cent ans. Aujourd'hui les Turcs ont Erdogan, et beaucoup dans les milieux modernes et éclairés de la capitale l'appellent dictateur.
Certains parlent de trucage d'élection - quinze ans tout de même qu'il est au pouvoir - d'autres pensent que c'est un peu plus larvé, aussi je ne statuerai pas là-dessus. Difficile d'ailleurs d'être sûr de quoi que ce soit dans un contexte où les gens préfèrent parler à voix basse, et en privé. On évoque journalistes emprisonnés, muselage de la presse, évictions de fonctionnaires sans preuves et condamnations sans procès, surtout depuis le 15 juillet, darbiye - d'aucuns affirment même ne pas croire à un véritable coup d'Etat survenu ce jour. On cause aussi d'incroyables sommes dérobées, mais bon on a ça aussi chez nous hein.
Il est clair en tout cas que Erdogan regarde côté Moyen-Orient, lui - à moins qu'il ne souhaite simplement se la jouer Seul contre tous, aidé par le mépris séculaire de l'Europe. Et pourtant tous mes interlocuteurs affirment que son Parti Islamique c'est du pipeau, qu'il n'a rien d'un idéologue et tout d'un opportuniste - mais bon ça aussi chez nous (bis).
Alors quoi ? Je ne sais plus qui a dit que la démocratie c'était cause toujours et la dictature ferme ta gueule, eh bien, sous cet angle, rien de moins sûr que la Turquie soit encore une démocratie.

Mais apparemment le petit Tayipp n'est toujours pas satisfait de son trône, aussi le voilà qui organise un référendum, ambiance : on vous demande votre avis, surtout ne vous trompez pas d'avis hein. L'idée est de réformer la Constitution pour renforcer encore le rôle du président, en supprimant entre autres celui de premier ministre - tous les détails sont sur Internet, le francophone tout du moins, pour le turc je ne sais pas.
Et donc, à deux semaines du 16 avril braille claironne s'affiche EVET en grand format et son à fond, et plus rarement chuchote grommelle sur des stickers ou tracts tendus au coin de la Istiklal HAYIR - wallah, je n'emploierai plus jamais le mot propagande à la légère, après avoir assisté à cela. Mon argument gouvernemental favori, d'ailleurs : DIRE NON C'EST FAIRE LE JEU DES TERRORISTES. HAYIR = TERRÖR.
... Mais bien sûr. Tabii, evet.

Bref la Turquie ne va pas très bien. Oh, soyons honnêtes, tout n'est pas imputable au moustachu : entre la crise mondiale et celle du Moyen-Orient, l'afflux d'immigrés principalement syriens, ajoutons le problème kurde pour faire bonne mesure (et qu'il n'a rien fait pour arranger, au contraire), je trouve que le pays ne s'en sort pas si mal  - surtout comparé à ses voisins.
Mais les gens grognent et ont peur, de plus en plus (et pour de bonnes raisons - pas comme mon peuple). Et quel que soit le résultat du référendum, réel ou falsifié, il y a fort à parier que ça va être un beau bordel.
Ca se sent tant que ça que je commence à habiter ce pays dont je ne suis pas ? Et pour citer les jolis mots de collègue Ahmet, mais Istanbul t'aime aussi tu sais. Peut-être est-ce juste le retour des beaux jours, ou cette atmosphère électrique dont je m'imprègne tant et plus - oh je n'en suis pas à mon coup d'essai, j'ai suivi les Muslims Brotherhood en Egypte, et puis connu les joies du couvre-feu après l'arrivée de Sissy, et j'en passe. Enfin, j'ai retrouvé mon rôle de prédilection : sortir, marcher, écouter, interroger, chercher à comprendre - Yilmaz qui craint pour sa place de prof et ses deux enfants, Sibel qui regrette de n'avoir pas fait établir les papiers pour la double nationalité quand il était encore temps, Arzu qui se battra contre le parti gouvernemental en dépit des risques, et le cinéaste qui a réalisé ce court-métrage, Hayir, et tous les autres.
Au fond j'éprouve peut-être quelque chose pour ce pays juste parce qu'il sombre, ça me ressemble - ou alors c'est ce statut d'inbetween, qui hésite entre deux mondes, entre short et voile, qui ne sait pas, ne sait plus très bien qui il est, et que j'ai d'abord trouvé bâtard mais qui au fond me ressemble encore plus.

Ou alors ce n'est qu'une histoire de facilité et d'altermoiement : m'intéresser à la situation politique d'un pays qui n'est définitivement pas le mien m'évite de trop penser à celle du mien - oui, navrée pour mon côté Bisounours années 80 mais mes parents m'ont donné certaines valeurs malgré tout et songer que notre propre parti raciste est en tête dans les sondages suffit à me donner envie de pleurer ou de tout casser.
Du reste, j'ai relativement assez mal en ce moment, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec une politique quelconque, et donc j'use des seuls moyens que je connais pour non pas ne plus avoir mal mais y survivre - marcher et écrire, écrire et marcher. Quand on n'a pas de cheval...
J'hésitais d'ailleurs à rester dans les parages pour le référendum précité, on ne sait jamais pour une fois qu'il se passe quelque chose, mais il se trouve que le 16 avril tombe pendant mes vacances, et j'ai une envie tellement intense de monter à cheval que voilà voilà.

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