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Agnabeya
30 décembre 2016

Jetlag

"Méfie-toi de ce que tu souhaites... tu pourrais bien finir par l'obtenir" (proverbe asiatique)


Où, ayant contre toute attente obtenu arrangement à l'amiable avec la Direction - les miracles de Noël, même pour une non-chrétienne en Turquie - on saute de l'établissement dans le taxi ; comme la fois précédente, oui, si ce n'est que rien ne se passe comme la fois précédente, depuis le commencement de l'escapade jusqu'à sa conclusion.
Où ce taxi-là est fort désagréable, le traffic laisse craindre de ne jamais atteindre Atatürk (l'aéroport, hein, quant à l'autre je n'ai pas prévu de le rejoindre si vite), mais où on s'engouffre tout de même dans l'avion bondé, en pleine crise de mal de dos depuis des jours, et bon sang ce qu'ONUR AIR est étroit inconfortable et froid, surtout après AIR FRANCE (octobre) et plus encore EGYPTAIR (novembre) - ce que c'est de virer bourge tapette, et oui, j'ai honte de ma conso CO2.


Où on débarque à Roissy-Charles de Gaulle pour se rendre compte qu'on n'a pas une thune en cash - je le savais déjà, n'ayant pu passer voir Adnan pour le change sans com' car malade le week-end précédent  (votre servante, pas Adnan) - et, plus embarrassant, plus la moindre idée du code de la CB non utilisée depuis des mois.
Choc du retour, contraste décalage et inadaptation à son propre pays welcome back, je nageais dedans dès l'atterrissage, et il n'a fait qu'empirer les jours suivants, alors que je n'aime même pas ma vie à Istanbul.
Où justement tout le monde vous trouve odieuse et à cran - on pensait vaguement faire impression avec ce nouveau profil la classe urbaine avec veste cuir ongles faits je porte même du parfum désormais ce qui constrate nettement avec mon passé cavalier-campagnard, en vérité on fait hystérique et émaciée de surcroît ; il faut bien dire du reste que l'unique séance ou plutôt tentative de shopping en France atteste que ce ne sont pas les tailles turques qui sont ridiculement grandes et informes.


Où on repart au petit matin de grisaille normande plus épuisée qu'à l'aller si cela est possible, pour enchaîner train local métro RER Roissy le retour et avion, cette fois-ci à moitié vide quelle surprise, on a un hublot et même une lueur d'espoir à l'arrivée car pour une fois il n'y a pas tant de monde à la file de contrôle des passeports.
Où on imagine déjà follement être chez soi pour 22 heures, juste avant que le charmant monsieur du guichet vous assène un péremptoire You are not allowed to stay in Turkey, pour vous expédier aux non moins charmants keufs des frontières (de celle-ci tout du moins), lesquels vous répètent la même chose dans un anglais hésitant contrairement à eux-mêmes, avant que de se mettre à passer cinquante coups de fil dans ce turc qui vous écorche déjà à nouveau les oreilles, sans s'adresser jamais à vous si ce n'est pour vous suggérer de donner de l'argent, et tentent même de contacter votre établissement dont le téléphone est sur votre contrat de travail (- Ben, c'est-à-dire, vous pouvez appeler, mais un jour férié à 23 heures... - Laissez-nous faire notre travail. Ha bon, bon.), pour finir par vous laisser passer ambiance bon allez circulez mais la prochaine fois hein la prochaine fois - la prochaine fois quoi ? J'ai un visa de travail en règle et non dépassé, vous en aviez juste assez d'emmerder des Syriens ?
Où on rattrape dans le taxi (quand j'étais aventurière au Caire, je prenais le bus - bourge tapette, bis) toutes les cigarettes non fumées de la journée, larmes aux yeux et boule qui grossit qui grossit à menacer d'exploser dans la gorge, en se demandant pourquoi au juste on se donne tant de mal pour rester là
Si Istanbul ne veut pas de moi qu'elle se rassure je ne veux pas d'elle non plus (Coluche, featuring ziyadah)


Où on sort du taxi plus bas qu'on est entrée dans le premier train si cela est possible, dégoûtée par soi-même en contexte familial et français et pas plus satisfaite de se retrouver sur la place Taksim demeurée la même
[quatre jours en même temps ce n'est pas si long, même si cela suffit pour un coup d'Etat. Les exilés savent cette étrange distorsion du temps liée à notre condition : on ne le voit absolument pas passer et pourtant il semble rétrospectivement étiré. On est parti depuis une semaine, et depuis des années. Ce qui implique que le voyage allonge la vie, à moins qu'il ne la rende plus ample. L'unique problème dans mon cas est qu'il rend fou aussi]
yani venteuse et glaciale (La Normandie fin décembre à côté c'était les Tropiques) exposée et bétonnée.
Ce que j'fais là, moi je sais pas, je voulais juste marcher tout droit - encore un air connu.
Où on traîne son sac, puisqu'il faut bien aller quelque part, en direction de la Cumhurriyet Caddesi, et, à l'angle, du Simit Saray, puisqu'il faut bien manger quelque chose et qu'il est trop tard pour quoique ce soit d'autre que les chaînes - merci tesekküler les keufs - retrouvant au passage et sans aucun plaisir le fantôme de l'enfant à l'harmonica précité - juste avant de s'immobiliser
Cette musique putain je la connais elle est sortie lorsque je vivais Al Qahira, cette voix je la connais c'est de l'arabe pas du turc mais pas seulement où l'ai-je entendue - et je me suis retrouvée nez à nez avec le groupe live de mon café attitré de Cihangir, les Syriens, oui. Shouf, el Fransaweya ! Ils en riaient tout autant que moi, et j'ai juste posé mon bagage pour les écouter. Debout le dos en loques après douze heures de transport, sur la place Taksim glaciale, à gauche de cinq six autres spectateurs, à regarder le guitariste replet aux cheveux bouclés qui ressemble - me fait penser - un peu à Adnan, et le chanteur à l'étrange oeil d'un bleu blanc, comme crevé.
C'est curieux tout de même tu ne rencontres que des Syriens à Istanbul, à ma mère j'ai répondu juste qu'il y en a énormément, ce n'est que partie de la vérité mais celle-ci je n'ai pu l'exprimer - c'est normal c'est le but, c'était le but depuis le départ, que crois-tu que je fiche ici à la contestablement nommée Porte de l'Orient ?
Et puis la chanson s'est finie je me suis avancée dans le cercle que tout public digne de ce nom trace automatiquement autour des musiciens même dans la rue, et j'ai dit : Aïcha. Law Samaht Aïcha, je savais qu'ils la jouaient , et le public a ri gentiment, les musiciens juste souri et j'ai écouté Aïcha en hésitant entre m'esclaffer et sangloter.
Aïcha une chanson en arabe en français, Aïcha que j'ai entendue au Sahara, Aïcha et ses promesses d'amour éternel qui ne verra jamais le jour, des perles des bijoux des fruits bien mûrs au goût de miel, Nbrik Aicha ou nmout allik, Aïcha la chanson de mon père - et alors j'ai compris : cette place vide au réveillon, cette raison qui fait que tout réveillon me déchire le coeur seule ou peut-être encore plus accompagnée, parce qu'il y a un fauteuil à côté de ma soeur et moi qui jamais ne sera occupé, un nom qui n'apparaîtra jamais sur aucun cadeau, et c'est pour ça que mes cousins écrivent allègrement ce mot maudit sur tant de leurs paquets, parce qu'ils savent qu'on ne risque pas de confondre.


Et j'ai eu des secondes de joie, pas de promesses de, de vraie joie, celle de l'instant, pour la première fois depuis des jours - décidément je ne suis pas faite pour les bonheurs simples.
Qu'on vienne encore me dire après ça qu'il n'y a pas de mektub [encore moins de Dieu]


Après avoir enfin réussi à me mouvoir je ne me suis absolument pas étonnée que la meuf de l'épicerie en bas (enfin, en HAUT, connaissant la géométrie stambouliote) me complimente toujours en arabe sur mon sac, el shanta helwa, sigaya ? et réjouie qu'Abdelaziz, le Syrien oui, soit encore en faction à la réception de mon hôtel pour me porter diligemment ledit shanta jusqu'à mon 5ème sans ascenseur.
Aïcha, j'avais presque à nouveau envie de toi.

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