Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Agnabeya
18 décembre 2016

Thalaj

Noël approche à grands pas, et curieusement, ce mois-ci, je trouve des beautés à Istanbul en décembre.

Certes, il fait atrocement froid et le vent gèle toujours autant les oreilles (je me suis d'ailleurs achetée un ridicule bonnet mais qui me répugne à porter non pas tant à cause des pompons que du fait qu'il rend mes cheveux totalement incontrôlables), les attentats se multiplient et puis je ne parlerai pas de ce foutu gamin jouant de l'harmonica à même le sol sur mon chemin jusque Taksim, même par zéro degré, non et non je n'en parlerai pas.
Mais il faut bien dire que la lumière d'hiver n'est pas trop mal - en fait, beaucoup plus belle que celle de l'été que j'ai connu finissant. Elle ne vaut pas Al Qahira bien sûr, mais lorsqu'on quitte cette foutue banlieue perdue pour retourner au centre-ville en bus, en fin d'après-midi (celle du matin nous est inaccessible, on se lève bien trop tôt) je me perds de plus en plus dans sa contemplation. La lumière est ce qu'il y a de mieux, dans la vie, c'est pour cela que je déteste la pluie, et que je n'aime pas non plus la nuit, et d'ailleurs c'est ce que signifie mon prénom à peu de choses près. Cela dit, Istanbul by night possède aussi un certain charme, surtout en ce moment - sapins enguirlandés et décorations de fête clignotantes, tiens quelle surprise on en revient à la lumière.

IMG_0778

Bien sûr, je trouve tous ces tableaux citadins très jolis parce que cette année, j'ai prévu de passer Noël en famille. J'avais prévu. Le miracle des fêtes, il faut croire - des années que nous sommes restés éclatés séparés à couteaux tirés, et voilà soudain que nous nous invitons, nous envoyons des mails d'organisation et d'informations cadeaux, et j'ai beau n'avoir pas de vacances il n'en fallait pas plus pour me décider à venir quand même. Autre révélation plouc ternissant mon image de guerrière : j'aime Noël - j'adore, en fait. Je ne suis pas chrétienne mais toutes ces petites étoiles, ces chants sopranos dans les rues, et puis les cadeaux au pied de l'arbre, je ne parle pas de leur contenu mais des boîtes aux papiers chatoyants qui attendent d'être ouvertes et que dans l'idéal je n'ouvrirais jamais - même petite tu t'intéressais plus aux emballages qu'à ce qu'il y avait dedans - enfin Noël réveille en moi la gamine de cinq ans, champagne en surcroît.
Bien sûr, là encore, je trouve tous ces machins très jolis par et pour la réunion - révélation nouvelle : je suis une cavalière solitaire qui croit à la famille, modèle orientale, et sachant que l'an dernier j'étais recroquevillée dans le fauteuil de mon colloc seule en l'appartement à boire du vin en pleurnichant, autant dire que ce Noël-ci me rend déjà heureuse avant même que de l'avoir commencé. Me rendait.
Car oui la direction déjà évoquée de mon école vient de me refuser la permission de déplacer un de mes cours - un cours, une séance unique de quarante minutes - pour pouvoir prendre l'avion. Vous êtes déjà partie en novembre, maintenant cela suffit. Ah bon, cela suffit. En d'autres termes, en cette période où tout ce à quoi je veux penser c'est aux étiquettes de mes paquets et aux vitrines animées, je dois faire le choix entre laisser tomber ma famille, ou laisser tomber mon poste.


En sortant de cette lecture de mail hésitant entre fureur et pleurs, la boule en bas du dos commençant déjà à se réveiller coucou car chez moi c'est tout aussi physique que nerveux, je n'avais aucune hésitation, la famille avant tout - je vous ai dit que j'étais orientale - et de toute façon je ne cèderai pas au chantage, quel qu'il soit.
 Et puis je suis entrée dans ma classe avec envie de tout sauf de travailler, et au tableau m'attendait un coeur violet, et en son centre : On vous aime Madame.
Bande de salopards, ils le font exprès ou quoi, je parle de mes ex-débutants 5C précités, et bien sûr qu'ils le font exprès, je l'ai déjà remarqué : quand je suis triste malade ou quoi, ils sont plus gentils plus calmes et plus attentifs encore que d'habitude. Je ne le leur dis pas, évidemment, mais nous passons beaucoup d'heures par semaine ensemble, la limitation de langage rend plus sensible aux autres signaux, et du reste les enfants sont plus empathiques que les adultes, sans doute parce que vivant moins encore dans un monde de mots et d'idées, un monde biaisé.
Alors, pour éviter de me laisser gagner par l'émotion, pour leur rendre quelque chose tout de même - car je n'ai pas l'intelligence de ces enfants et je suis infoutue de dire je vous aime, moi - et parce que j'avais envie de tout sauf de travailler là maintenant à cet instant, j'ai annoncé que c'était le moment de faire des jolis dessins de Noël pour décorer la classe. Bien sûr, tous ces petits doigts se sont rués sur leurs crayons rouge et vert, et cette séance a été la plus silencieuse, la plus concentrée de toutes les séances que j'ai données en ma carrière. Chaque fois qu'un gamin ouvrait la bouche, trois autres exaspérés lui faisait chut chut - d'ailleurs lorsqu'a sonné la récréation, je ne suis pas sortie par flemme de m'harnacher comme un cheval de trait pour trois minutes et une clope dehors, et eux non plus. Les neuf dixième de la classe sont juste restés dans la classe - le plus beau cadeau du monde.
Pour tout dire, ne  sachant pas très bien quoi faire, et gagnée par leur exemple, je me suis mise moi-même à dessiner, c'est dire - j'écris, moi, je ne dessine pas, mais là j'étais à fond sur mon sujet, plus rien n'existait que mon papier, avec mon propre petit crayon quoique noir. Bref, il m'aura fallu un Master et une prépa AGREG à la Sorbonne pour comprendre après quatre ans d'enseignement que ce qu'il y avait de mieux, c'était de faire des petits dessins avec des étoiles et des sapins en compagnie de gamins de dix ans non francophones.


Et puis, histoire de parfaire ce conte de Noël, un cri a retenti :
- Madame, madame, neige, neige !
Alors là j'ai tout oublié et plus encore pour me précipiter à la fenêtre, le nez collé au vitrau. Et comme par mon geste j'avais donné l'autorisation, toute la classe m'a rejointe, et nous avons regardé les premiers flocons tomber. Ediz m'a montré son dictionnaire, au mot : fasciner, émouvoir. Sans trace de moquerie sur son visage.
Naturellement que j'étais fascinée, émue - vous savez, moi, la neige, j'ai dû en voir cinq fois dans ma vie, étant née sur une île, et de parents commerçants, autant dire que je ne suis pas souvent partie à la montagne. Et les pays que j'ai choisi jusque-là pour voyager habiter n'ont guère changé la donne - il ne neige pas souvent non plus sur les Pyramides, encore moins dans le Sahara.
Mais il y a plus que cela, je pense, et la preuve c'est que ces gamins qui vivent dans cette ville polaire se sont précipités aussi. Au risque de verser dans le buco-lyrique, je me suis dit, plus tard dans mon bar attitré à sortir tous les quarts d'heure sous prétexte de fumer une clope et en vérité au moins autant pour regarder la neige tomber, que la neige devait juste faire partie de ces choses authentiquement belles, hors de toute mesure subjectivité et blabla. Un peu comme lorsque je reviens de la plage et de la forêt au printemps, et que je croise des hirondelles qui folâtrent dans un champ de blé : ça en rengorge à cette période, el Hambdullilah la phrase de Noir Désir n'a pas encore atteint mon île, et pourtant chaque fois je ne peux m'empêcher de m'arrêter, de regarder, et de me dire que bordel y a quand même des choses pas trop mal dans ce monde.

Pêle-mêle et non exhaustif, ce qui me manquera d'Istanbul, si je dois effectivement plier bagage : la lumière d'hiver, le Bosphore surtout baigné de ladite lumière, ce pont jalonné de pêcheurs qui fleure le poisson entre partie moderne et vieux quartier que j'emprunte pour rejoindre Adnan, Adnan également, la neige, donc, les simit, fourrés tomates feta ou simplement nature, le mot arkadesh, le réveil le dimanche matin par le cri des mouettes, et ce bar où j'écris présentément, dont le barman après m'avoir dit qu'il ne retenait jamais aucun nom semble se faire une gloire et une obligation de le claironner chaque fois qu'il s'adresse à moi - avec un I, bien sûr, comme de raison en Orient. Et  puis Oyküm, Damla, Sarp, Zehra, Ediz, Cinar, Doruk, Ezgui et tous les autres. Surtout eux, putain.

IMG_0787

[trop difficile de prendre la neige en photo, désolée. En lieu et place je vous offre mon petit dessin, et vous êtes priés de remarquer le message sur le troisième cadeau en partant de la gauche - je ne pouvais pas faire une note sans en parler, tout de même]

Publicité
Publicité
Commentaires
Agnabeya
Publicité
Archives
Publicité