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Agnabeya
7 décembre 2016

Cok Soguk - L'Hiver à Istanbul

Le froid s'est emparé de la ville
Aux robes succèdent parkas et bonnets
On ne fume plus aux terrasses des cafés
On ne fume plus, puisque prohibé

Plus personne ne flâne dans les rues
A pas martiaux se trace tout trajet
Même les chiens errants ont disparu
Et les chats s'enfouissent sous les déchets

Visages encore plus ternes fermés à tout
A moins que ce ne soit qu'au vent du Nord
Qui gèle les oreilles les doigts rend fou

Le pire reste ceux-là sur le Bosphore
A Taksim exposés joueur d'oud enfants
Font encore plus mal aux doigts que le vent.

[je me permets de vous faire remarquer que mes ambitions poético-stylistiques s'affinent de semaine en semaine, à présent je pratique non seulement le sonnet, mais en décasyllabes de surcroît - alors que de nature je suis prosatrice et rien d'autre, mais il faut croire que je m'emmerde sacrément à Istanbul, et que pourtant je n'ai pas le temps de me consacrer à de vraies histoires]

Personnellement je trouve encore - plus que d'habitude - que les gens ne marchent pas assez vite, avancez bon sang, vous vous êtes cru en été walla eh ?  Avec vos précitées parkas fourrées hideuses qui doivent avoir le mérite de la protection, mais que je ne me résous pas à porter, car j'ai beau être campagnarde et cavalière, il y a des limites tout de même - à la place, je me recroqueville dans mes dizaines d'accessoires soie coton laine fournis par Adnan. La semaine dernière, je me suis même surprise à arborer capuche de ma veste, alors qu'il avait - enfin - cessé de pleuvoir. D'abord craignant le ridicule, je me suis rendue compte que beaucoup faisaient de même. Et pourtant je viens d'une île, je devrais être usée au vent - ce fameux ressenti - mais le nôtre vient de l'Ouest, pas du Nord. Il souffle, certes, mais j'aime me promener sur la digue en ses grands jours, sa vigueur honnête m'ennivre, alors que celui d'ici est cruauté tapissée d'aiguilles, qui rend toute sortie déplaisante voire quasi-impossible.
Bref, il flotte et il caille à Istanbul, et même lorsque le soleil daigne pointer le bout de ses rayons c'est une lumière pâle, qui ne réchauffe strictement rien mais agresse les yeux - je ne peux sortir sans lunettes de soleil alors que je n'en ai jamais eu besoin dans le Sahara ni même au sommet des montagnes marocaines.
Il semblerait que je me sois fait anarquer tout autant sur le climat que sur mon contrat, mais quant au premier mea culpa, mea maxima culpa.

Je hais le froid, la grisaille et l'humidité - rien d'original certes mais dans mon cas cela vire à la phobie, et je n'ai  jamais compris pour quelle raison dans toutes les religions on parlait de l'Enfer comme d'un endroit brûlant - cette chaleur infernale. J'ai vécu l'été égyptien et franchement ça n'avait rien d'infernal ; d'accord, il faisait un peu trop chaud, mais ça ne m'empêchait pas d'aller marcher des heures durant et même de monter à cheval dans les dunes. On dit que le froid vivifie tu parles, il anesthésie oui, pourquoi croyez-vous que c'est dedans que l'on garde les cadavres et la bidoche, dans nos sociétés hygiéniques ?
Je (re)commence à rêver de pays climatiquement civilisés, autrement dit soleil ciel bleu trente degrés minimum, et peu m'importe qu'ils frôlent la guerre civile (sic) tant que j'y peux trouver des dattes et des oranges, pas ces foutues pommes à l'air surgelé même lorsqu'elles sont fraîches.
Outre les preuves scientifiques, je crois dur comme fer à la phrase du poète Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil.
You don't have this kind of weather in France ? - C'est possible abruti, mais je ne quitte pas mon pays pour retrouver ailleurs les mêmes inconvénients. Franchement, si j'avais porté dans mon coeur le climat normand, j'aurais cherché un poste à Sainte-Marie les Champs, au moins, cela m'aurait permis de voir ma grand-mère plus souvent.

A part cela ? Rien. Istanbul ne m'inspire décidément pas, pas même assez pour tenir dessus un blog digne de ce nom. Les emmerdes se suivent et varient légèrement, le trafic ces jours-ci est infernal contrairement à la chaleur, la direction de mon école ne me calcule plus sinon pour m'engueuler depuis que j'ai pris illégitimement des vacances pourtant promises par mon contrat, on m'a ouvert sans rien me demander  un compte bancaire turc avec une carte turque qui ne marche pas (me voilà donc heureuse détentrice d'un salaire auquel je n'ai pas accès)  je suis alitée et bouillonnante de fièvre ce week-end à cause du froid précité, mon proprio d'hôtel m'a prévenue qu'il augmentait ses tarifs en période de fêtes et je vais donc incessamment avoir un problème de logement, les locaux que j'ai bien tenté de rencontrer car telle est ma manière de fonctionner d'expatriée ne s'intéressent qu'à mes yeux et à mon corps de yabangee - khawagat, et j'en pince toujours autant pour un type qui me couvre peut-être d'écharpes (re-sic) mais ne s'intéresse, lui, absolument pas à ma personne. Il faut dire que sa proche famille réside au pur centre d'Alep-Est, aussi a-t-il des préoccupations un tout petit plus importantes...

Ce qui m'amène à la blague de la semaine, qui cloira idéalement cette note inutile.
Tout n'étant pas toujours gris il ne faut pas croire à Istanbul, je me réjouissais il y a quelques jours d'avoir enfin commencé à m'adapter - et même, à trouver mes marques : non seulement je suis capable de comprendre lorsqu'on m'annonce un prix, mais encore j'ai déniché un café-pub dans le bobo quartier Cihangir, où je stationne près du radiateur (désormais) pour baguenauder sur Internet, alimenter ce blog, écrire même, boire des Gin Tonic ou (toujours désormais) du vin chaud à la cannelle. La musique est variée espagnole italienne turque arabe et même française, sans parler de l'orchestre live du vendredi soir, le personnel y est amiable, ce qui n'a rien d'évident à Istanbul - en fait, le type qui y travaille donne des cacahuètes avec les boissons, sourit, carrément, et m'a touché gentiment le bras en me demandant how are you il y a peu. Autant dire que j'ai crié victoire intérieurement, enfin, enfin, j'ai trouvé un endroit stambouliote dans lequel je me sens bien, enfin, j'ai trouvé des Turcs sympas.
Et donc j'y suis retournée ce dernier vendredi, avec un Turc justement, lequel a voulu commander sa boisson en turc audit employé - ou patron que sais-je - qui lui a répondu en anglais qu'il ne parlait pas turc.
Lorsque j'ai eu l'occasion de causer en tête à tête avec lui  (le type du bar, pas le Turc - celui-là m'a lourdé rapidement)  autour d'une cigarette, j'ai osé lui poser la fameuse question-clef :
- Where you come from ?
- I am from Suria. Sham (Damascus).
Mais, euh, l'orchestre ? Aussi.
... Je me disais bien aussi que leur musique sonnait particulièrement bien à mes oreilles, surtout la reprise de Ya Raya - une chanson que Adnan m'a fait découvrir - mais tout de même.
Résumons-nous, l'unique bastion que j'apprécie ici, la preuve que décidément Istanbul a ses beautés et quelle joie je commence à m'y intégrer, n'est pas turc mais... syrien. L'histoire a d'ailleurs bien fait rire Adnan ce samedi, et étant donné l'état de son moral ces temps-ci c'était un vrai cadeau (plus que les écharpes) de voir sa bouille ronde chapeautée de ses fabuleux cheveux à ressorts s'éclairer.

C'est le mektub, comme disait emphatiquement le Marocain fumeur de kif avec qui j'ai partagé un iftar il y a deux étés dans les souks de Marrakech. Ce terme qui d'ailleurs a tellement plu à la Cavalière qu'elle s'est mise à me le brailler régulièrement aux oreilles, en particulier en soirée et en état d'ébriété. C'est le meektuuuuub ! Sérieux, si je venais à disparaître par surprise (mais n'est-ce pas notre lot à tous ?), je tiens à ce que mon épitaphe soit : Elle s'est bien amusée. Parce que wallah, je n'ai peut-être pas été si heureuse, dans ma vie, mais  je me suis bien amusée.

IMG_0749[et oui, je suis d'accord, la photo n'a aucun rapport avec le froid - sinon les manteaux, mais je ne peux sortir les mains de mes poches pour prendre des clichés à l'extérieur, et ceux qui suivent en comprendront les sujets]

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