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Agnabeya
10 novembre 2016

Om El dounia

[transition d'avec la note précédente, c'est que ça a une structure ce blog mine de pas grand-chose] : mais vous savez, rien de tout cela n'est vraiment grave - je parle de mes difficultés à m'intégrer ou même à me plaire en cette ville et en ce pays, du temps qui devient de plus en plus froid,  du stress d'Istanbul et des locaux que je comprends encore moins que leur langue, et même du rythme intensif de mon école - rien de tout cela n'est insurmontable, donc, car je pars. Vacances prévues de longue date et supprimées comme le reste - je veux dire, tout ce qui est bien - mais je les prends et je les emmerde.

Je prends une semaine de vacances en novembre, yani MISR ALA TUL

Je n'arrive pas à m'en sortir bordel, je parle de l'Egypte - bien sûr je parle de l'Egypte, je ne fais que ça, et c'est bien là le problème. De retour en France je parlais de l'Egypte au point de me faire hurler dessus PUTAIN MAIS DECROCHE au cours d'une soirée pseudo-fun en boîte. Au Maroc je parlais de l'Egypte, à me faire détester par les Berbères ARRETE DE NOUS COMPARER ON N'EST PAS DES ARABES ET DES EGYPTIENS ENCORE MOINS. Au Liban tout le monde se foutait de mon dialecte cairote - et je ne reviendrai pas sur la Turquie.
D'ailleurs, s'il faut tout dire, après l'Egypte j'ai trouvé la France grise et glauque, le Maroc roublard et frisquet, le Liban minuscule et ultra-construit, la Jordanie hautaine et sans surprise, et la Turquie, là encore, déjà dit. Wallah, après l'Egypte, je m'emmerde absolument partout.
Faut-il revenir une fois de plus au proverbe que m'a appris ma boss mes premières semaines d'employée au Caire (maalesh je ne le connais pas en arabe) : you can take an Egyptian out of Egypt, but you cannot take Egypt out of an Egyptian. J'eusse apprécié, à l'époque, qu'elle me prévienne que c'était contagieux.

Leh keda ?

Il y avait les Pyramides, Ahram, dans lesquelles en bonne claustro je ne suis jamais entrée certes mais tout de même bien jolies sur les photos. Il y avait le Nil, qui au Caire ne ressemble pas à son image d'Epinal mais sur lequel il faisait tout de même bon fumer et causer avec Amine au rythme de sa felouqqa. Il y avait le désert, et son absolu sur lequel je ne m'épancherai pas une fois de plus, et puis les étalons arabes. Il y avait la mer Rouge, qui en réalité était turquoise. Et puis le soleil, shams, el-Hambdullilah, et la chaleur.
Je n'offre que des clichés, là. En vrai, les Pyramides, on ne peut pas faire un pas dans cette zone sans se faire harceler par des vendeurs de cartes postales et divers, la cornish du Nil est plus polluée et plus bruyante et pullulante de dragueurs qu'aucun autre endroit que j'ai fréquenté au monde, les plages de la Mer Rouge sont bétonnées, et le désert - non, je n'écrirai rien de mauvais sur le désert, pas plus que sur les étalons arabes. Khalas kalam fadi, parlons du vrai :

Il y avait la lumièreNour. Cette lumière unique d'Orient que je n'ai qu'ensuite entr'aperçue que dans le Sud du Maroc, et, un peu, dans le désert jordanien - comment décrire la lumière ? Un cran plus foncée et pourtant plus lumineuse que notre pâle soleil du Nord, qui rend toute photo unique et que j'associe toujours à l'aube. Je détestais les réveils en bus le matin, je les hais toujours à Istanbul, mais le Caire à six heures au levant, avec l'adhan, j'ai beau ne pas être visuelle je n'oublierai jamais.
Et ne parlons même pas de la première gorgée de chay maa nahna, thé à la menthe au Sahara.
Il y avait l'espace. L'espace infini, comme doit être tout espace que l'on respecte. Alfada. Bien sûr, le Caire était trop grand - les villes sont toujours trop grandes lorsque leurs kilomètres de buildings en cachent l'horizon - mais dès l'arrivée à saturation je pouvais aller dans le désert, et alors, voilà.
Bien sûr, l'Egypte est grande, Misr kebira, je veux dire objectivement - je l'ai parcourue en bus, et Il sait que cela paraît encore plus grand sachant que l'Egypte, c'est quatre-vingt-dix pour cent de Sahara. Imaginez un trajet de cinq six heures en bus où vous ne voyez rien d'autre que... yani, le rien, justement - je ne cause même pas du Sahara pour touristes, avec des golfes incroyables et de jolies oasis, non, vraiment du rien. Nul arbre, nul point d'eau, nul animal, nul âme. De temps en temps, un panneau indicateur vermoulu, qui fait regretter de ne pas lire l'arabe car vraiment on se demande ce qu'il peut bien avoir à dire - dans 17km, une dune ??
Il y avait les odeurs. Foul au cumin du petit déjeuner, guava des marchands de fruits ambulants - un fruit qui n'existe pas par chez nous, inutile de chercher la traduction -  ordures à chaque coin de rue en particulier par temps chaud - souvent, donc -  moutons chevaux et chameaux, et puis la shisha, kullu yom, devenue pour moi Madeleine de Proust - dès que je sens la shisha, je suis à Al Qahira.
Il y avait le bruit. Certes, l'Egypte est bruyante, surtout pour une campagnarde, mais quatre ans après (je n'arrive pas à y croire quand mon Facebookàlacon me l'annonce triomphalement putain, sana arba'a, quatre ans) j'entends toujours le cri du chiffonnier au réveil, vechia-vechia-vechiaaaa, et le métal qu'il frappait et le cri stupide de son âne en accompagnement.
Et puis j'emmerde tout le monde, pays après pays, surtout après un verre dans le nez, pour qu'ils mettent de la musique arabe en général et égyptienne dans l'idéal - Sadat & Fifty, Mesh Haro7, personne n'aime le hip-hop égyptien sauf moi - et peut-être colloc -  et c'est réjouissant.
D'ailleurs, après le même verre dans le nez ou quand je suis énervée, je me mets à causer arabe. Transition idéale :
Il y avait la langue. L'arabe est peut-être la langue la plus hardue du monde, et donc la plus belle - et l'arabe égyptien est le plus beau des arabes, car il chante, vocifère, roule les r, aspire les h et se met en scène. En tant qu'ex-étudiante en linguistique (vaguement) et mystique, j'ai eu l'occasion d'y réfléchir : le sublime de l'arabe tient dans le ah. Le h aspiré, donc, caractériel, viril, ne tergiversons pas, et d'un sexy en diable. Et puis le a, prolongé jusqu'à l'infini, promesse d'absolu. Alla-a-a-ah. Sahlab. Sahara. Wallah, wallah, wallah.
Cette langue, j'arrive encore moins à l'oublier que le reste. Je rêve en arabe, certaines nuits. Je ne cause même pas correctement l'arabe, c'est trop compliqué et je n'ai pas eu les moyens/le temps/le courage, mais les Turcs me détestent parce que 30% de leur langue vient de l'arabe, mais que moi je la prononce, oui, à l'arabe. Hey, AHmet ? - Ahmet. - Ouais, je viens de le dire. - Lena, c'est A[]met, pas AHmet, arrête de cracher tes H comme ça, le turc ce n'est pas de l'arabe. Sans dèc oui, c'est là son moindre défaut.
Et je n'évoquerai même pas la moue du Bel Egyptien lorsqu'il prononçait ce mot, sahlab, parce que voilà quoi.  Pas plus que la calligraphie, que je n'ai jamais eu le courage d'apprendre mais qui est la plus belle du monde. Je l'ai même en tatoo, c'est dire.
Parlons simplement, l'arabe égyptien, je l'entends, j'ai envie de rire et de danser. De rêver aussi - j'attache beaucoup d'importance au son des mots, en sus du sens, et franchement, le Caire ça sonne plouc, Cairo juste un peu mieux, mais Al Qahira, tout de suite - j'aime annoncer à la cantonnade j'ai habité Al Qahira, I used to live in Al Qahira, sana ten fil Al Qahira, et quand vous savez que ça veut dire la victorieuse, c'est l'amande sur la basboussa.

On arrive au centre - the point. Non, l'Egypte n'avait rien de serein. Salam haleykum, la-a, mesh fil Al Qahira. Non, je n'ai pas été plus heureuse en Egypte qu'ailleurs. Et définitivement, non, l'Egypte n'avait rien de facile. Justement - bezobt.
Sic un de mes plus beaux compliments, par mon hagg Badri : I love you because you never choose the easy way.
Si probablement je n'arrive pas à passer à autre chose, c'est à cause du goût du café.
Je me suis levée après cette nuit-là, vous savez ? J'avais à peine pas en fait dormi on n'est d'ailleurs pas censée dormir après une commotion cérébrale or whatever the word - it's not something existing in Egypt, and by the way let's write that in english cause after three years I still have difficulties to talk about that : yes, two guys caught me on my street and shoked my head in the pavement. Bam, bam, bam. One night shared between police, and hospital, and finally El-Hambdullilah, "my" bed.
 Then I wake up, and I went out, yes, in the street, my street, the street it happens, yes. First I saw the blood, my own blood, nice stain in the pavement, and for the first time - before, I was under what  Shady called adrenaline rush - I realized : I could die. Allah, I should die.
So after, baaden, I went to drink a coffee. You know I don't like coffee, basically I just drink it to make me awake, but this coffee , Allah Allah, was the best one I ever tasted in my life.
Coffee calls ciggie, everybody knows that - so after I smoked a cigarette. I smoke one paquet of cigarettes every days, but this cigarette was better than every cigarette I smoke before and after.
You start to get me ?  even the sun, le soleil, shams el Hambdullilah, fil Misr shams kullu yom, ce soleil, jamais je ne serai capable d'en décrire la sensation, encore moins le plaisir.
Et là je ne vous parle que du passif. Le combat qui a précédé, le combat qui a suivi - encore une fois, je n'aime pas en parler, par manque de courage d'une part et de vantardise de l'autre, mais bordel, let's just say I survived to Egypt. Actually, I made more : I used to live in Egypt.
Je me suis installée par moi-même, je me suis débrouilée par moi-même - c'est mieux que seule, car plein de gens m'ont aidée, et je m'en suis sortie par moi-même. J'ai pris le minibus, j'ai monté des étalons arabes, j'ai même géré le Mogamma merde quoi, et tout ça, pas avec ma culture mon intellect même mon cerveau, mais mes tripes.
C'était ce que j'ai eu à faire de plus difficile - ya Badri - en ma vie, et c'était vraisemblablement ce que j'ai fait de mieux - ce que, hélas, je ferai jamais de mieux. Les élus seuls savent.
Al Qahira, la victorieuse. Definitly.
 
Il y a cette expression en français anglais, avoir quelqu'un dans la peau/I got you under my skin.
Taïb, I got Egypt under my skin. Six points de suture, tout de même...

Il n'y a eu que l'Egypte, wallah. Malgré la saleté, les difficultés, le harcèlement. Encore maintenant je vois, lorsque quelqu'un critique l'Egypt devant moi, je monte sur mes grands chevaux (arabes) : - Stop it, Cairo is not dirty, and not so bad-educated, come ooooon !
La vérité c'est que Al Qahira est sale, et vulgaire. La vérité c'est que l'Egypte est stupide et sans réflexion et inadaptable - tiens tiens tiens - et avec ça, bourrée de coeur et de spontanéité. Mais surtout, je suis avec Misr comme avec ma mère : tu as le droit de la critiquer, mais pas les autres, parce que voilà. Comment tu parles de ma mère, toi ! Wallah, om el dounia.
J'achèverai là-dessus, puisque depuis des pages et des pages de débordements épico-lyriques (enfin) je ne parviens toujours pas à définir l'Egypte. Moi et l'Egypte.

Yani, haro7 fil Misr, tani, donc, je pars en Egypte. Et je verrai peut-être le Bel Egyptien ou peut-être pas, et j'hésite à passer dire coucou à mon marin du Nil, et sans doute j'espère je verrai mes Bédouins, boirai du thé à la menthe au pied des dunes à la chaleur du feu. J'ai déjà prévenu, je sais que tant de gens m'attendent. Mais vous savez ? Je n'y pense pas, pas tellement, à ces gens. Ce que par contre je ne peux me sortir de la tête, ce à quoi je pense minimum cinq fois par jour et deux fois plus par nuit, c'est à l'après-midi où je vais parvenir à Ahram - comme j'ai fait tant de fois auparavant. A Ahram il n'y a personne qui m'aime, et ce n'est pas le vrai désert, mais le cheval quoi, le cheval.
(Semblant d'échange récent : You still like it, after your surgery ? - Hm, no, you didn't get me. I don't like that, I love that. Actually, it's just the only thing I love. )


Et déjà, dans un quelconque café bruyant sans âme à Istanbul, je suis ailleurs - dans le commencement du Sahara, j'ai beau ne pas être visuelle je le vois je le sais, exactement : la première dune après les tourists shops et les habitations biladi, après les barrières et le cimetière, l'instant où après la détente au pas c'est le moment de partir yalllah, on se prépare en sachant que ça ne sert à rien, car l'élan vous perdra le souffle et coupera les jambes dans tous les cas -

Bref, le départ au galop, quoi. Dayman.

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