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Agnabeya
12 septembre 2016

L'Eau du Nil

Après avoir traînassé, finassé, invoqué mon manque de temps qui n'est d'ailleurs qu'un semi-mensonge car la rentrée étant entérinée et certains de mes élèves n'ayant jamais pratiqué la Belle Gauloise auparavant (autrement dit la moitié de mes séances se déroule face à des dizaines de paires d'oreilles n'entravant que dalle à mes logorrhées), autant dire que je suis légèrement débordée (ce qui ne m'a pas empêchée de sortir quatre fois en dix jours à Istanbul, une honnête moyenne, n'est-il pas ?) - après nombre d'altermoiements donc, j'ai fini par me prendre par la main pour chercher asile car crécher au lycée ça va bien cinq minutes techekürler - certes, la nourriture y est gratuite mais le lit mauvais et l'usage de la cigarette compliqué.
Du reste, la vraie raison de cette procrastination étant bien entendu cette phobie de s'installer, de se poser, de s'inscrire dans quoi que ce soit, il importe d'autant de prendre le cheval par le toupet yalla.


Comment, yalla ?


Eh bien, ne causant pas turc et n'ayant pas de téléphone national, je ne savais trop par quel bout prendre le problème, et j'ai fini par en revenir aux bonnes vieilles méthodes : appel à un local. Or il se trouve, et je vous prie de ne pas ricaner, que le local en question était Egyptien wallah, de Moulouteya précisément - mais si, vous savez bien, Moulouteya, l'arrêt de microbus où je m'arrêtais tous les week-ends pour aller monter à Ahram.
Forcément nous sommes partis en grande conversation anglo-arabe autour du thé, et lorsque j'ai prononcé le sésame Khabour ya Dabour mon nouvel ami était en extase, et il n'a pas fallu cinq minutes pour qu'il me prenne par les sentiments :
- OK, on va s'en faire un chez moi ?
- Mais, euh, tu m'avais parlé d'un plan appart...
- Oui, oh, bokra incha'Allah, y aura bien le temps.


Welcome back, salam y a Masr, quoi. Son propre appart avait un grand balcon donnant sur les toits d'Istanbul, mais j'ai eu grand-peine à m'en souvenir au vu de la situation - à savoir : on s'est posés sans chaise pour fumer comme des Bédouins, l'assemblée se composant d'une Jordanienne, d'un Libyen, un Palestinien et trois Cairotes, donc, inclus mon premier contact qui a passé la soirée à me présenter à chaque nouvel arrivant comme Egyptienne, Masreya, et à hurler de rire chaque fois que j'évoquais la moindre parcelle de ma vie là-bas.
- El Malek el Saleh ? Le microbus ? Inty magnouna, tu es cinglée, quoi.
- Ouais, j'ai déjà entendu ça.
Cela n'a pourtant rien de compliqué wallah de prendre ledit microbus depuis Maadi el Arab jusqu'à la Shari al-Ahram pour chevaucher à Gizeh, il suffit ensuite de rejoindre Mahjal à pieds de retrouver Zaki et d'en prendre un autre pour Hafifi. Bref :
- Et t'es en Turquie depuis longtemps ? a demandé celui aux dreads.
- Une semaine.
- Et c'est avec des Egyptiens que tu passes la soirée, a rigolé le premier en me passant une cigarette, tu ne trouves pas ça drôle ?
- Absolument pas. C'est le mektub.
- Non, ça, c'est parce que tu as bu l'Eau du Nil, est intervenu un autre ; après l'avoir goûtée, on ne peut plus jamais s'en passer.
- Mais je n'ai jamais bu l'eau du Nil ! J'achetais des bouteilles, enfin...
- La grosse arnaque, au Caire, elles sont toutes remplies de l'eau du Nil.
- Même Siwa ???
- Surtout celle-là ! C'est la pire de toutes !
- C'était ma préférée...
Eclat de rire général.
- Eh bien, ça explique tout : tu as passé deux ans à te gorger de l'Eau du Nil.


Ca explique tout, oui. Wallah el azim.


Après que mon hôte m'a orientalement raccompagnée jusqu'au pas de ma porte - enfin, celle du bahut - j'ai filé à celle d'à côté acheter des dattes car tout ferme fabuleusement tard à Istanbul, et extasiée imprégnée comme je l'étais, j'ai enchaîné dans la langue de la soirée sans même m'en rendre compte - avant que le vendeur ne relève en souriant :
- Kallim arabi ?
- Tiens, euh, oui, c'est vrai, je parle arabe, maalesh, euh sorry, mais au fait, et toi ?
- Je suis Marocain, moi.
Putain j'avais quasi-oublié à quoi ça pouvait ressembler parfois el-Hambdullilah d'être moi.

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